Quelque part, ça m’irrite de lui faire de la publicité, mais il faut bien que je parle de ce charlatan dénommé Frank Hoogerbeets. Plusieurs lecteurs m’ont demandé ce que je pensais de ses prétendues prédictions de tremblements de terre et de tsunamis –surtout qu’il en avait «prévu» un frappant les côtes de notre beau pays, quelque part entre Tanger et Lagouira. D’où les questions de lecteurs. Y a-t-il du vrai là-dedans?
Attendez… Vous me demandez sérieusement ça à moi, moi qui peste et publie depuis des lustres contre les imposteurs, les arnaqueurs, les chouaffates, les raqis guérisseurs, les marabouts («professeur Ababacar, résout tous vos problèmes!»), les prédicateurs, les rebouteux, les médicastres, les astrologues, les féticheurs, les ma-âmes Olga à boule de cristal, le Sâr Rabindranath Duval, la Libanaise Leila Trucmuche et les sorciers?
Mais bon, la fabrique d’esbroufeurs ne s’est jamais arrêtée de fonctionner depuis qu’un de nos lointains ancêtres, ayant tout juste adopté la station debout, a fait croire à Lucy l’ingénue qu’il pouvait prévoir l’avenir –avant de se faire dévorer tout cru par un lion qui arrivait en courant derrière lui, et qu’il n’avait pas «prévu». On ne cessera jamais de voir apparaître, de temps à autre, ce genre d’escroc. Ils vivent et prospèrent de la crédulité des gogos.
La méthode de Frank le bonimenteur inclut, selon lui, l’influence des planètes et de la Lune, ou plutôt de leur alignement, ce qui lui permet de déterminer «presque parfaitement» l’emplacement de l’épicentre et la magnitude des séismes. (Et si on demande gentiment, il donne le résultat des courses et le numéro gagnant du loto.)
Inutile de perdre notre temps à étudier sa méthode. Tous les organismes officiels de tous les pays du monde (voyez par exemple le United States Geological Survey) ne cessent d’affirmer que personne n’a jamais prédit un tremblement de terre majeur.
Pour affirmer qu’on a prévu un séisme, il faut avoir donné précisément 1) la date, 2) le lieu, 3) la magnitude. Avec cette définition rigoureuse, répétons-le: personne n’a jamais prédit un tremblement de terre majeur. (Il faut préciser «majeur» parce qu’il y a en moyenne 2.500 séismes par jour dans le monde, l’immense majorité (99%) étant imperceptible. Il est facile de «prévoir», au hasard, un de ces mini-séismes.)
À vrai dire, dès que j’ai entendu parler de ce farceur, j’ai fait ce que je fais toujours en pareil cas: j’ai consulté sa biographie. Constatant qu’il n’était lié à aucune université, à aucun centre de recherche, j’en ai déduit que c’était un bluffeur. S’il était capable d’accomplir de telles prouesses, les meilleures universités du monde lui auraient fait un pont d’or, il serait à Harvard, au MIT, à Oxford ou sur le plateau de Saclay.
N’importe qui est capable de raconter n’importe quoi sur n’importe quel sujet. On l’a bien vu quand le Covid a frappé. Il y avait autant d’experts de la chose que d’habitants de la planète. Même les chauffeurs de taxi, les coiffeurs et une certaine Mmoui Na’ima en dissertaient gravement.
Mais où était le vrai savoir? Chez les épidémiologues, les spécialistes des maladies infectieuses, les virologues; c’est-à-dire dans les CHU et les universités.
La prochaine fois qu’on viendra vous embêter avec un pseudo-spécialiste des séismes au nom imprononçable, une chouaffa libanaise ou le za’im d’un parti aux référents moyenâgeux, posez au fâcheux une simple question: «Il (ou elle) est affilié(e) à quelle université?»
Parce que le savoir spécialisé, à jour, cumulatif, qui ne cesse de se remettre en question et de progresser, il est là –et pas ailleurs.