On ne parle pas souvent des Polonais dans ces colonnes. Eh bien, allons-y. Après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne, plus de 2 millions (!) de Polonais, principalement des jeunes, quittèrent leur patrie pour trouver un emploi à l’étranger. Que de fois, à Londres, Berlin ou Paris, ai-je été servi, dans un restaurant ou un magasin, par quelqu’un(e) qui venait de Gdansk ou de Varsovie? Pourtant, à l’époque, je ne lisais nulle part que ces jeunes avaient fui, ‘malheureux’, ‘désespérés’, ‘suicidaires’, une Pologne ruinée, dévastée, un enfer où les gens crevaient de faim dans la rue. Non: ils avaient juste saisi une chance de se bâtir un avenir meilleur comparativement à celui qui aurait été le leur s’ils étaient restés chez eux.
Ceux qui n’avaient pas émigré ne vivaient pas dans la pauvreté et la pouillerie. Ayant effectué deux séjours en Pologne -en 2001 et 2013-, je peux en attester. Je vis un beau pays, des gens éduqués, bien nourris et bien portants.
On ne parle pas souvent des Bulgares dans ces colonnes. Eh bien, allons-y. Lorsqu’en 2007, la Bulgarie devint membre de l’Union européenne, un million (!) de jeunes traversèrent la frontière pour aller s’installer en Allemagne, en France ou en Espagne. Ma femme de ménage, à Amsterdam, était une accorte Bulgare, toujours souriante. Jamais elle ne me dit, dans son anglais hésitant, quoi que ce soit de négatif sur le pays de ses ancêtres, où elle comptait bien retourner une fois qu’elle aurait économisé de quoi s’acheter un appartement à Stara Zagora (sic), la petite ville dont elle était originaire.
On ne parle pas souvent des Roumains dans ces colonnes… Bon, arrêtons cette ritournelle, je pense que vous avez compris où je voulais en venir.
La semaine dernière, quelques milliers de jeunes, Marocains pour la plupart, mais aussi originaires d’Algérie et d’Afrique sub-saharienne, tentèrent de franchir par la force la clôture qui sépare F’nideq de Sebta. Ils n’étaient pas très différents des millions (!) de Polonais, de Bulgares, de Roumains entrés légalement en Europe au cours des deux dernières décennies. Ils rêvaient, eux aussi, d’une vie comparativement meilleure que celle qui était la leur chez eux. C’est tout.
Et pourtant, ce fut le prétexte de commentaires quasi hystériques décrivant en termes apocalyptiques l’enfer dans lequel mouraient à petit feu, c’est le cas de le dire, ces desperados de F’nideq.
Entendons-nous bien. Il n’est pas question de minimiser les conditions difficiles dans lesquelles vivent beaucoup de nos compatriotes. La sécheresse qui sévit chez nous depuis près de six ans n’a rien arrangé. Le prix des denrées alimentaires s’en est ressenti. Même pour la classe moyenne, la vie n’est pas facile. Alors pour ceux qui sont en dessous… D’autre part, le chômage des jeunes est une réalité -comme chez notre voisin de l’Est, dont le Président s’est récemment vanté d’avoir introduit une allocation chômage pour deux millions (!) de jeunes. C’est donc qu’ils existent bel et bien…
Tout cela est vrai; mais faisons une expérience de pensée. Supposons les frontières grand ouvertes entre le Maroc et l’Espagne et les gens libres d’aller et venir comme ils le veulent entre les deux pays. L’incident de F’nideq n’aurait pas eu lieu. Aurait-on alors décrit notre pays comme (je cite des commentaires malveillants) ‘un échec économique patent’, ‘dantesque’, ‘un pays de misère que tous veulent fuir’, etc. Allons donc!
Il y a des migrants économiques partout. C’est ainsi depuis que le monde est monde. Ils rêvent d’une vie meilleure. C’est leur droit.
Mais cela ne signifie pas qu’en attendant, ils vivent en plein cauchemar.