Radioscopie du couple marocain

ChroniqueOutre la féminisation de la population qui explique en partie ce phénomène, le célibat des femmes de 50 ans peut s’expliquer aussi par la difficulté des femmes divorcées, veuves ou jamais mariées à se (re)marier en raison de leur âge, quand on considèrera, au contraire, que l’homme se «bonifie avec le temps».

Le 21/05/2023 à 12h05

Le Haut-commissariat au plan a publié l’édition 2023 de son rapport «Les indicateurs sociaux du Maroc». Un recueil riche en informations sur l’état de notre société marocaine, tant d’un point de vue économique, éducatif que familial, et qui permet d’analyser plus en détail l’état de santé du couple au Maroc.

Premier enseignement: la tendance à la féminisation de la population du Royaume. Celle-ci s’élève à 36,67 millions d’âmes, dont 50,2% de femmes. Une tendance encore plus forte dans les villes, avec 70 hommes pour 100 femmes, qui s’explique non seulement par l’exode rural mais aussi par la longévité des femmes. A ce rythme-là, les applications de rencontres amoureuses ont encore de beaux jours devant elles…

Sans grande surprise, dans ce contexte, le taux de célibat va donc crescendo, mais surtout chez les femmes de 50 ans. Ainsi, entre 2004 et 2014, dates des deux derniers recensements, ce taux est passé de 5,3% à 6,7% chez les femmes de 50 ans tandis que du côté des hommes du même âge, la hausse s’élève timidement de 4,9% à 5,3%.

Dans les villes, l’écart se creuse davantage en l’espace de ces dix années entre hommes et femmes. Ainsi, le célibat des citadines de 50 ans a fait un bond de 6,8% à 8%, tandis que les hommes stagnent depuis dix ans à 5,9%.

Même son de cloche dans le monde rural, avec un taux de célibat certes moindre que dans les villes mais des écarts très contrastés entre hommes et femmes, celles-ci étant passées entre 2004 et 2014 de 3,1% à 4,3% de célibataires de 50 ans, contre une hausse de 3,2% à 3,3% côté masculin.

L’étude du HCP ne dit pas les raisons de ces écarts entre hommes et femmes mais on se doute bien, au vu des mentalités ambiantes, qu’outre la féminisation de la population qui explique en partie ce phénomène, le célibat des femmes de 50 ans peut s’expliquer aussi par la difficulté des femmes divorcées, veuves ou jamais mariées à se (re)marier en raison de leur âge, quand on considérera au contraire que l’homme se «bonifie avec le temps».

Autre explication possible, la frilosité des femmes de cette catégorie d’âge à se remarier, d’autant si elles sont autonomes financièrement. Car dans l’étude du HCP, célibat rime avec non-mariage, ce qui n’exclut pas les relations amoureuses hors mariage. Vu sous cette lumière, il apparaît donc que les hommes sont moins disposés à vivre seuls, en dehors des liens du mariage, que les femmes, qui sont encore, de par les charges qu’elles assument, garantes de l’équilibre et du bien-être du foyer.

Cette tendance haussière du célibat chez les femmes cinquantenaires n’est toutefois pas une réalité chez les femmes plus jeunes. Elles se marient au contraire de plus en plus jeunes. Entre 2004 et 2018, l’âge de primo-nuptialité est ainsi passé de 26,3 à 25,5 ans chez les femmes, alors que les hommes se font passer la bague au doigt un peu plus tard, reculant l’âge du mariage de 31,2 à 31,9 ans.

Nos jeunes femmes seraient-elles donc incurablement romantiques? Pas si sûr, car les chiffres sur l’âge de fécondité des femmes apportent un éclairage beaucoup moins rose bonbon de la réalité. En effet, en 2018, le taux de fécondité parmi les adolescentes de 15 à 19 ans reste élevé avec un taux de 19,4% (contre 19% en 2020), qui grimpe à 22,5% en milieu rural, soit le double du taux affiché en milieu urbain (11,5%). Autrement dit, le mariage des mineurs bat son plein et est passé entre 2020 et 2021 de 6,5% à 7,2%.

Parmi ces unions d’un autre âge dont on attend toujours l’éradication pure et dure, sans plus avoir à tenir compte de l’avis d’un juge dans l’application de la loi et son appréciation, la polygamie file aussi des jours heureux avec une hausse entre 2020 et 2021, passant de 0,3% à 0,4%.

Après l’amour, le désamour, et selon les tendances scrutées à la loupe par le HCP, une règle s’impose: plus il y a de mariages, plus il y a de divorces. Ainsi, après une année 2020 plongée en pleine pandémie, et donc confinement, l’année 2021 a été marquée par une reprise du business des mariages, enregistrant 270.000 actes contre 194.000 l’année précédente. Quant aux divorces, c’était à prévoir après un confinement forcé au cours duquel de nombreux couples mariés ont réellement fait connaissance, la tendance est aussi à la hausse avec 26.957 actes au lieu de 20.372 en 2020.

Ce qui nous interpelle, ce sont aussi les causes de divorce et leur évolution dans le temps. En 2021, la star incontestée du modèle de séparation adopté est le divorce par consentement mutuel qui culmine à 76,6%, loin devant le divorce moyennant compensation qui se classe en 2ème position avec un taux de 13,4% et, ô surprise, en 3ème position, le divorce avant consommation du mariage qui cumule 8%.

A y voir de plus près, ce troisième cas atteste d’une tendance toujours bien ancrée dans la société marocaine, celui du mariage arrangé qu’illustre parfaitement ce témoignage publié dans la presse en 2011: «J’ai épousé une femme que j’ai connue par l’intermédiaire d’une personne. Le problème est que je ne l’avais jamais vue avant la conclusion de l’acte, sauf en photo. Avant la consommation du mariage, je me suis rendu compte que cette femme présentait un vice caché. Alors, je me suis abstenu.» Ainsi, sont à l’origine de ces divorces avant consommation du mariage ce que l’on qualifie de vice caché ou vice rédhibitoire, autrement dit, des vices empêchant les rapports conjugaux, notamment des maladies mettant en danger la vie de l’autre époux ou sa santé et dont on ne peut espérer la guérison dans le délai d’une année. Un cas de figure que l’adoption des libertés individuelles dans le Code pénal pourrait bien solutionner…

Par Zineb Ibnouzahir
Le 21/05/2023 à 12h05