Lundi 19 mai 2025, Rabat s’est fait le théâtre d’un face-à-face tendu, mais crucial. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Azzedine El Midaoui, recevait dans son bureau le doyen de la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de l’Université Ibn Zohr d’Agadir, Mohamed Bouaziz, accompagné de ses deux adjoints. L’objet de cette rencontre? Une affaire qui secoue les fondations mêmes de l’université: des inscriptions frauduleuses en master, des diplômes monnayés au prix fort, et une communauté universitaire en état de choc.
Au cœur de la tourmente, Ahmed Klich. Enseignant en droit, il est aujourd’hui en détention provisoire à la prison de l’Oudaya, à Marrakech. Depuis le 13 mai, il est poursuivi sur décision du juge d’instruction près la Cour d’appel de Marrakech. L’accusation? Avoir transformé un programme de master en machine lucrative, et profité de sa position pour vendre des diplômes universitaires comme s’il s’agissait de simples formalités administratives.
Le ministre, tentant de faire toute la lumière sur cette affaire, a saisi l’Inspection générale de son département. Une mission est prévue à Agadir pour examiner les pratiques internes de la faculté. Pendant ce temps, l’incertitude règne parmi les étudiants, en particulier ceux du sixième semestre en droit privé, confrontés à l’angoisse de voir leurs examens compromis.
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Mohamed Bouaziz, doyen de la faculté, a tenté de calmer les esprits: «Les étudiants du professeur incarcéré ne seront pas pénalisés. Les examens se dérouleront dans des conditions tout à fait normales. Des enseignants intègres se chargeront de la préparation et de la correction des épreuves, ainsi que de l’encadrement des projets de fin d’études. Il n’y a pas lieu de s’inquiéter à ce sujet».
Un passé trouble, une ascension suspecte
La question est: comment en est-on arrivé là? Le parcours d’Ahmed Klich avait pourtant déjà connu une ombre persistante. Ancien fonctionnaire communal à Casablanca, il avait accédé à un poste d’enseignant à la faculté pluridisciplinaire de Safi. Mais cette première étape universitaire a été marquée par un scandale de harcèlement sexuel. Plusieurs plaintes, des manifestations d’étudiantes... jusqu’à son exclusion.
Pourtant, en 2013, il réapparaît à la faculté de droit d’Agadir. Une réintégration qui étonne plus d’un observateur, au vu de son passé. Très vite, il y lance un master baptisé «Système pénal et gouvernance sécuritaire». Un programme qui, selon des sources proches du dossier, deviendra une véritable «poule aux œufs d’or». Des diplômes octroyés à des personnes influentes sans présence effective ni participation académique. Les étudiants ordinaires, eux, se voyaient appliquer le règlement avec rigueur.
Pris dans l’engrenage de la cupidité, Klich élargit son réseau: diplômes contre argent, processus de sélection entaché de clientélisme, plaintes ignorées… Tout semblait permis.
La chute d’un système parallèle
Mais les fissures de ce système sont devenues béantes. La Brigade nationale de la police judiciaire (BNPJ) a fini par assembler les pièces du puzzle, aidée par le témoignage d’un homme aujourd’hui condamné à cinq ans de prison ferme. Ce dernier a admis avoir acheté son diplôme. C’est ce témoignage qui a déclenché une série d’arrestations et révélé l’ampleur du réseau.
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L’affaire a depuis pris une ampleur judiciaire. L’épouse du professeur, avocate de profession, ainsi que plusieurs individus ont été placés sous contrôle judiciaire. L’enquête continue, et d’autres noms pourraient être révélés.
Face aux rumeurs, aux listes circulant sur les réseaux sociaux et à l’exposition publique de certaines personnalités prétendument impliquées, plusieurs voix s’élèvent pour clamer leur innocence. Parmi elles, celle de Omar Halli, ancien président de l’Université Ibn Zohr et aujourd’hui conseiller au sein de l’ICESCO, qui s’est fendu d’un message sans détour...avant de l’effacer. «Je suis surpris de voir certains tenter de m’associer à une affaire à laquelle je suis totalement étranger. Je sais pertinemment qui se cache derrière cette campagne de dénigrement. Cela dure depuis des années, mais j’ai décidé de ne plus répondre aux médiocres», a-t-il écrit sur Facebook.

Et maintenant?
Les questions fusent. Ce scandale est-il un cas isolé ou le symptôme d’un système malade? Jusqu’où ira l’enquête et combien d’autres noms tomberont? Que deviendront ces diplômes entachés de suspicion, accordés contre des liasses de billets? L’université marocaine, elle, est à la croisée des chemins. Face à ce séisme, l’heure n’est plus au silence. Il faudra choisir: refonder ou sombrer.