Encore une fois je suis en colère. Nous sommes tous en colère.
Le quotidien Assabah nous apprend qu’à El Jadida (région Had Oulad Fraj), un enfant de six ans a été victime d’un viol collectif. L’enfant avait été kidnappé par des mineurs âgés de 15 et 16 ans et d’un jeune homme âgé de 18 ans. Les violeurs ont été arrêtés. Après 48 heures de garde à vue, ils ont quitté les locaux de la gendarmerie. On apprend qu’au cours de cette période de détention, ils ont été déférés devant le procureur du Roi du tribunal de première instance d’El Jadida.
Telle est l’information. Viol collectif. Arrestation. Puis… libération des violeurs!
Je voudrais poser une question au magistrat ou au gendarme qui a pris la décision de libérer ces salauds: mettez-vous, ne serait-ce qu’une seconde à la place des parents de l’enfant de six ans violé. Imaginez la scène. Écoutez les cris du petit. Voyez ses efforts pour se dégager des mains et bras qui le maintiennent prisonnier, comme un mouton qui gigote avant d’être égorgé. Regardez la scène qui dure longtemps, car les salauds étaient nombreux. Le viol s’est répété. Et l’enfant dans tout cela? Une victime dont les cris n’ont servi à rien.
Le viol est un crime. Même commis par des mineurs, il reste un crime. La vie de l’enfant est saccagée, détruite, traumatisée pour longtemps.
On dit souvent que les violeurs ont eux aussi été violés quand ils étaient enfants. Peut-être. Mais on se moque pas mal de cette explication de bazar qui ne résout aucun problème.
Un enfant a été kidnappé, séquestré, et à moitié tué. Ils ont tué en lui non seulement son intégrité physique et morale, mais aussi sa vie, son futur. Le mal est fait. Comment vivre avec ces images qui vont hanter le petit?
Le mal et la honte. Le mal et l’impuissance.
Ce viol devrait être connu de tous. Il faut informer, manifester sa colère et réclamer à la justice de faire rigoureusement son travail. Pas de clémence pour les violeurs, même s’ils sont mineurs.
Certes, le fait que la gendarmerie ait libéré les criminels ne veut pas dire que ceux-ci échapperont à la justice. Mais quand et comment?
La lutte contre la pédocriminalité (*) ne doit en aucun cas connaître des compromis ou du laxisme. Un crime est un crime, car une vie égale une vie. Quand celle-ci a été brutalisée, massacrée, il faut beaucoup de temps et de travail pour la réparer.
Je sais que des associations luttent contre les abus dont sont victimes les enfants, parfois en famille. Père, un beau-père, un frère abuse de sa fille ou de sa sœur et lui impose le silence par la menace et la peur.
En septembre 2023 a paru un livre, ni roman ni essai, mais un récit, intitulé «Triste Tigre» (éd. POL), d’une femme, Neige Sinno. Au sein de l’Académie Goncourt, nous avions été impressionnés par la force de ce document où l’auteure raconte l’inceste dont elle a été victime, analyse ensuite le cas du roman «Lolita», de Vladimir Nabokov, et les abus sexuels dont Virginia Wolf a été victime de la part de ses frères, suivis par son suicide.
L’auteure écrit: «Le tabou, dans notre culture, ce n’est pas le viol lui-même, qui est pratiqué partout, c’est d’en parler, de l’envisager, de l’analyser».
Le jury des étudiants marocains pour le Choix Goncourt du Maroc a voté pour ce livre. Dix-huit autres pays dans le monde ont désigné ce livre comme leur choix Goncourt. C’est la première fois que cela arrive. Le sujet est universel et son traitement par l’auteure est de haute qualité littéraire et morale.
Outre le grand succès de librairie, ce livre émeut les lectrices en particulier.
Quand j’ai demandé aux sept étudiantes, jury du Choix Goncourt du Maroc d’expliquer ce choix, l’une d’elles a éclaté en sanglots. Du coup, ses camarades se mirent à pleurer aussi. «Triste tigre» raconte son histoire.
L’inceste et le viol sont des crimes. Le Maroc ne fait pas exception. On ne sait pas ce qui se passe dans les campagnes où la promiscuité favorise des comportements indécents et interdits.
C’est en ce sens que nous devons réclamer une rigueur absolue de la part de la police, de la gendarmerie et des tribunaux quand il s’agit de viol. Et que le tabou cesse. Parler des failles d’une société est un signe de civilisation et de progrès. On ne peut plus taire les vices qui existent sous plusieurs formes dans la société marocaine dans son ensemble. Aucune société n’est parfaite. Celle qui dénonce ces crimes se situe à un niveau de progrès important. Soyons parmi ces sociétés qui luttent ouvertement contre les crimes d’ordre sexuel, sans honte, sans hésitation, se libérant ainsi de l’hypocrisie qui tolère le crime pourvu qu’on n’en parle pas.
(*) Le mot pédophilie veut dire «l’amour des enfants». Aimer ne veut pas dire abuser et violer. C’est pour cela que, quand il s’agit de crime commis sur un enfant, j’utilise le mot pédocriminalité.