Le point sur les derniers dénouements de l’affaire Bouthier avec Me Aicha Guellaa, l’avocate des plaignantes

Jacques Bouthier, homme d'affaires français et ex-patron du groupe de courtage Assu 2000, implanté à Tanger et rebaptisé Vilavi.

Jacques Bouthier, homme d'affaires français et ex-patron du groupe de courtage Assu 2000, implanté à Tanger et rebaptisé Vilavi. . DR

La vaste enquête pour harcèlement sexuel, menée par un juge d’instruction au Maroc et impliquant Jacques Bouthier, l’ex-grand patron français de Assu 2000, et plusieurs de ses collaborateurs dans les succursales de Tanger, s’est achevée mercredi 18 janvier. Le point avec Maître Guellaa sur les derniers rebondissements de cette sordide affaire.

Le 20/01/2023 à 13h09

Traite d’êtres humains, harcèlement sexuel, attentat à la pudeur, violences morales et verbales… les chefs d’accusation qui pèsent contre l’ex-patron du géant du courtage français implanté à Tanger, dans plusieurs succursales, et neuf de ses collaborateurs, ont de quoi donner le tournis.

Au total, depuis que l’affaire a éclaté en 2018, sept plaintes ont été déposées contre l’homme qui compte parmi les plus grosses fortunes de France, Jacques Bouthier, et plusieurs cadres de ses succursales tangéroises. Au total, neuf personnes ont été mises en examen dans cette affaire, parmi lesquelles six sont en état de détention provisoire et trois autres ont été laissées en liberté.

«L’enquête a commencé en juin 2022 avec les auditions de plusieurs accusés, parmi lesquels des ressortissants français, marocains, franco-marocains et franco-tunisiens», précise pour Le360 Maître Aïcha Guellaa, avocate des plaignantes au Maroc. «La majorité sont des responsables de la société Assu 2000 qui maintenant s’appelle Vilavi. Il s’agit en l’occurrence de deux femmes et sept hommes», poursuit l’avocate.

Mercredi soir, le juge d’instruction a terminé son enquête et devra délivrer dans deux semaines son ordonnance de règlement, suite à quoi il y aura renvoi ou non des suspects devant la chambre criminelle du tribunal de Tanger. «Il est certain qu’il y aura un renvoi, car si les personnes sont poursuivies en détention provisoire, c’est que les éléments sont là pour la poursuite de ces personnes par le juge d’instruction. Mais au-delà des accusés principaux, il y a aussi les complices, dont deux qui, selon l’article 129 du Code pénal, ont participé à ces crimes sexuels commis à l’égard de ces femmes», explique l’avocate des plaignantes.

«D’après mon expérience en la matière, je pense qu’il y aura poursuites par le juge d’instruction. Pour tous ou seulement quelques-uns des accusés? Ça, je ne le sais pas», précise-t-elle.

Rendez-vous donc dans deux semaines lorsque le dossier sera prêt à être transféré devant les Assises. «On commencera alors les audiences normales devant les Assises en présence des deux parties et de leurs défenses», explique l’avocate.

Mais qu’en est-il de Jacques Bouthier, lui qui a été mis en examen et incarcéré fin mai à Paris pour «traite d'êtres humains» et «viols sur mineure», et qui est aussi poursuivi en France pour association de malfaiteurs en vue de commettre le crime d'enlèvement et séquestration en bande organisée? Sera-t-il jugé au Maroc?

«On a déposé une demande pour une commission rogatoire, mais malheureusement cette procédure prend beaucoup de temps car elle passe par le circuit diplomatique, soit les ministères de la Justice et des Affaires étrangères, pour transférer l’affaire devant les institutions compétentes en France, dans le cadre de la convention de coopération judiciaire entre les deux pays», annonce Me Guellaa.

Toutefois, poursuit-elle, «nous avons convenu avec les victimes marocaines de déposer plainte en France directement devant le juge d’instruction qui est en train de traiter l’affaire là-bas (celle pour laquelle Bouthier est incarcéré actuellement)».

Il sera donc jugé en France pour les crimes commis au Maroc. Mais Bouthier n’est pas le seul des accusés à se trouver en France. C’est aussi le cas du directeur général de la filiale marocaine, qui «s’est enfui du Maroc et est recherché par la police marocaine», révèle l’avocate.

«Suite à la détention en conditionnelle des accusés pris en flagrant délit, il a quitté le Maroc en bus, en laissant ici sa voiture et toutes ses affaires», explique-t-elle pour Le360. Et de poursuivre que cet homme, un ressortissant franco-tunisien, «exerce maintenant tranquillement sa profession en France, dans la même société, comme si rien ne s’était passé».

«Des plaintes vont donc être déposées sur place, en France, à l’encontre de cet homme et des autres collaborateurs qui ont fui le Maroc pour se réfugier en France», annonce également Me Guellaa, «pour que justice soit faite pour les victimes». Une situation scandaleuse favorisée par la lenteur du processus judiciaire suite au dépôt de la demande d’une commission rogatoire. Une procédure loin d’être efficace, aux yeux de l’avocate, dans ce type d’affaires et qui explique la décision de se rendre en France pour y déposer les plaintes, sur la base «des procès-verbaux et des auditions réalisées devant le juge d’instruction au Maroc», lesquels serviront ainsi à appuyer les plaintes et les dossiers des victimes.

Au total, quatre personnes parmi lesquelles Jacques Bouthier se trouvent actuellement en France après avoir fui le Maroc.

A la question sur les peines encourues par les accusés, Me Guellaa indique avoir «déposé plainte notamment pour traite d’êtres humains, un crime qui peut être puni d’une peine allant jusqu’à vingt ans de prison ferme dans le cadre de notre affaire». Celle-ci considère les accusés comme «une bande criminelle qui a pratiqué des abus sexuels et exploité sexuellement des salariées en profitant de leur vulnérabilité».

Quant aux victimes marocaines de cette véritable mafia, qui ont eu le courage de témoigner et dénoncer les actes de leurs supérieurs, leur avocate confie qu’elles «se sentent libérées depuis qu’elles ont pris la parole pour dénoncer. Elles ont toutefois besoin de soutien, notamment psychologique, et certaines sont ainsi suivies par des professionnels. Elles sont fragiles mais reprennent confiance en elles-mêmes, d'autant plus qu’elles ont constaté que la justice suivait son cours, que des auditions étaient menées, que certains ont été mis en détention provisoire et que, in fine, ceux qui tentaient de les décourager en leur disant que rien ne serait fait avaient tort».

Pour Me Guellaa, ces femmes «sont des exemples pour les autres victimes qui, elles, n’ont pas pu parler». En effet, comme l'explique l’avocate marocaine pour Le360, d’autres femmes ont subi les mêmes agissements au sein de cette même entreprise mais ont choisi de garder le silence, dans une société qui a tôt fait de condamner les victimes d’abus sexuels.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 20/01/2023 à 13h09