Je l’ai écrit la semaine dernière, je ne peux que le répéter aujourd’hui: je n’arrive plus à regarder la télévision ni à lire les journaux. La destruction systématique de Gaza, la guerre en Ukraine, l’hypocrisie de certains dirigeants européens, la haine anti-Arabes et anti-musulmans qui suinte des chaînes d’information, ou plutôt de désinformation, liées à la droite chauvine et xénophobe européenne -ne parlons même pas de l’américaine Fox News-, tout cela devient littéralement insupportable.
Il semble que l’actualité se soit emballée. Et l’apparition, il y a déjà quelques décennies, des chaînes d’information en continu n’a fait qu’aggraver les choses. Après tout, il leur faut du contenu, de la matière, du grain à moudre. Et c’est ainsi que la moindre atrocité est montrée cinquante fois tout au long de la journée. Ce qui me rappelle cette blague bien connue, teintée d’humour noir:
- Mexico est une ville dangereuse, un homme y est assassiné chaque jour.
- Pauvre homme! Pourquoi faut-il que ça tombe toujours sur lui?
Tout de même, il n’en a pas toujours été ainsi. Le 18 avril 1930, le bulletin d’information de la BBC comportait exactement trois mots: «Today, no news». Je trouve ça admirable. «Aujourd’hui, aucune nouvelle», autrement dit: «rien ne s’est passé dans le vaste monde», c’est ce qu’annonça le présentateur-radio avec l’accent Queen’s English, le seul qui était accepté à l’époque par la BBC.
Pourtant, il y avait eu forcément, ce jour-là, quelques crimes de par le vaste monde, un déraillement de train ici ou là, un éboulement de rocher dans une montagne, un fleuve en crue en Chine ou ailleurs… Le rédacteur-en-chef de la BBC avait reçu des câbles de ses reporters et de ses correspondants, éparpillés entre Londres et le reste de la planète. De deux choses l’une: soit aucun d’eux n’avait jugé qu’il s’était passé quelque chose d’intéressant là où il était, soit le rédac’ chef lui-même avait jugé qu’une éruption de volcan à Sumatra n’intéressait en rien le paisible retraité de Manchester ou de Brighton.
Heureuse époque! Rien à signaler, chers téléspectateurs. Allez arroser votre jardin, ouvrez un bon livre, mijotez-vous quelque bon ragoût pour le dîner…
Le grand roman d’Erich Maria Remarque, intitulé À l’Ouest, rien de nouveau, reprenait en fait un authentique communiqué officiel de l’armée allemande. En 1916, en pleine guerre! Mais nous ne sommes plus en 1916 ni en 1930 et on ne plus imaginer aujourd’hui un bulletin d’information militaire qui dirait «Rien de nouveau» ou un journal télévisé qui s’en tiendrait à «No news».
À bien y réfléchir, l’une des causes de ce tsunami de news qui nous engloutit chaque jour et provoque des bouffées d’angoisse chez les plus sensibles est justement l’existence de ces chaînes d’information en continu qui ne cessent de ressasser les mauvaises nouvelles et les catastrophes. Et nous en sommes les complices en les regardant du matin au soir.
Il y a peut-être une conclusion à tirer de tout ça, une hygiène de vie à imaginer: s’informer rapidement le matin de ce qui s’est passé pendant la nuit puis vivre sa journée comme si la radio nous susurrait no news, no news… On prendrait le temps de vivre hors du malheur permanent.
Ce serait peut-être la seule façon de survivre sans séquelles psychologiques à cette ambiance perpétuelle de massacres, de barbarie, de folie…