La douleur de la famille Mchiouer s’étire interminablement, empêchée depuis 93 jours d’honorer la mémoire d’Abdelali, tragiquement abattu par des garde-côtes algériens, après s’être perdu en mer près des eaux maritimes algériennes limitrophes de Saïdia, en compagnie de ses trois amis. Dans cette interview avec Le360, Hichem Aboud, ex-officier de l’armée algérienne devenu journaliste et écrivain, dénonce tant l’attitude des agents qui ont ouvert le feu sur des civils innocents que l’insensible obstination du pays voisin à ne pas rendre le corps d’Abdelali Mchiouer. Voici ce qu’il en dit.
Le360: Comment interprétez-vous cette affaire et ses implications?
Hichem Aboud: Cette affaire reflète parfaitement la situation des deux peuples algérien et marocain. Et, en toute objectivité, celui qui assume la plus grande part de responsabilité dans ce conflit, c’est bien le régime algérien, puisqu’il a pris l’initiative de fermer les frontières terrestres et aériennes et de rompre les relations diplomatiques sans la moindre explication ni recherche d’un règlement au conflit. Si tout problème a une issue, Alger n’en veut pas.
C’est pourquoi je dis que c’est un régime de voyous. Je pèse bien mes mots: voyou n’est pas une insulte. C’est quelqu’un qui ne respecte aucune loi, y compris la sienne. Si vous voulez un exemple, le dernier changement de Premier ministre a été fait en violation de la Constitution.
Un voyou est celui qui ne tient pas compte de ce que peuvent penser les autres; il n’a ni foi ni loi. Et c’est le cas du régime algérien. Les deux peuples marocain et algérien sont otages d’un conflit qui n’a pas de raison d’être. Et le cas de l’affaire Abdelali Mchiouer est la parfaite illustration de cet entêtement et du refus de régler un conflit qui ne concerne ni de près ni de loin les deux peuples.
D’après vous, pourquoi Alger refuse-t-elle toujours de restituer le corps d’Abdelali Mchiouer?
Les responsabilités sont partagées à mon avis. D’une part, je suis étonné de ne constater aucune réaction de la part des autorités marocaines. Et le régime algérien prend prétexte sur cette absence d’initiative pour tergiverser. D’autre part, ce que l’on déplore, c’est que si ce jeune homme avait été Français, il ne serait pas resté 90 jours dans une morgue. Les autorités françaises auraient réagi et les autorités algériennes auraient obtempéré. Voici ce qui se passe: le malheur de ce jeune homme est qu’il est Marocain.
Ce retard suppose-t-il que l’Algérie a quelque chose à cacher?
Quelle vérité peut-on cacher après un tel scandale? Ils ont reconnu, à travers le communiqué du ministère de la Défense, que les garde-côtes ont tiré sur des jeunes plaisanciers. Que voulez-vous de plus? Ils ont reconnu leur crime.
Comment cette affaire est-elle perçue en Algérie?
L’opinion publique algérienne est atterrée par ce drame. On se demande également comment des milliers de harragas peuvent traverser les frontières maritimes algéro-espagnoles sans être inquiétés, tandis que de jeunes plaisanciers, qui se trouvent perdus dans des eaux sans se rendre compte des frontières physiques, font l’objet de tirs criminels. Le peuple algérien ne peut pas cautionner ce qui s’est passé et ne peut que le déplorer et le condamner.
L’avocat de la famille a précédemment déclaré que l’Algérie a gardé un cadavre pour laisser un message. Qu’en pensez-vous?
Le régime algérien n’a pas besoin de laisser de message. On a tiré sur de jeunes plaisanciers sans aucune raison. Le seul enseignement est qu’il s’agit d’un crime contre l’humanité: on ne tire pas sur des civils désarmés, on ne tire même pas sur un militaire désarmé. Il y a des soldats qui ont tiré et qui ont tué. L’affaire s’arrête là.
Une issue honorable à cette affaire est-elle encore possible?
Il y a deux hommes qui sont décédés. Il ne faut pas oublier Bilal Kissi (enterré chez lui à Bni Drar, NDLR). Lorsqu’il s’agit d’un corps qui est retenu dans une morgue par un régime de voyous, devons-nous laisser ce voyou agir à sa guise? Ou bien devrions-nous lui faire entendre raison? On n’en est pas au stade de provoquer un conflit armé pour un acte pareil, mais on doit demander officiellement la restitution de la dépouille d’Abdelali Mchiouer.
Si aucune réponse n’est donnée, il y a des instances internationales auxquelles on pourrait faire appel. J’estime qu’il incombe aux autorités marocaines de prendre les mesures nécessaires pour les saisir et faire condamner ces voyous. Tout cela, alors que le chef des voyous parle de «crimes commis par Israël» et appelle à porter plainte contre l’État hébreu devant les instances internationales, quand il devrait être lui-même l’objet de plaintes.