Et ça ne t’étonne même pas, mon frère!

Karim Boukhari.

ChroniqueÀ force de baigner dans l’illégalité et de bénéficier de tous les passe-droits, le moindre rappel à l’ordre sonne comme une injustice. Et tout retour à la normale est interprété comme une mesure arbitraire.

Le 17/05/2025 à 09h01

Incroyable mais vrai: la plupart des plages privées du littoral casablancais sont en train d’être démolies, l’une après l’autre. Pourquoi? Construction illégale. C’est étonnant quand on sait que la plupart de ces plages ont vu le jour au siècle dernier.

Cela veut dire que cela faisait des décennies, pardon des siècles, que la plus grande ville du Maroc vivait dans l’illégalité.

Et il n’y pas que les plages. Rappelez-vous du fameux sanctuaire de Sidi Abderrahmane. En quelques coups de pelleteuses, cette mini-cité foraine surgie du Moyen Âge a été renvoyée au néant.

Il y a aussi le cas de Derb Ghallef, immense capharnaüm dont le marché aux puces a acquis une dimension nationale, alors qu’il ne semble reposer sur aucun fondement légal. Mais comment s’arrêter en si bon chemin?

Il suffit de marcher dans la rue et de lever, de temps en temps, les yeux pour apprécier le paysage. De préférence en évitant les nids de poule et les bouches d’égout éventrées.

Cette cité baigne dans l’illégalité. Et depuis si longtemps…

Les terrasses des cafés? Illégal. Les immeubles aux terrasses recouvertes? Illégal. Les parkings improvisés au milieu de la chaussée ou derrière les grands chantiers de BTP? Illégal. Les prières collectives dans les rues et les boulevards? Illégal. Les mosquées clandestines et les mégaphones pour appeler à la prière ou annoncer «moul lizabi» (celui qui vend et achète les vieux habits)? Illégal. Le linge à sécher et les pots de fleurs sur les terrasses des immeubles? Illégal.

Et la liste est longue, très longue. Le taxi qui met le Coran, la voiture et le bus dont la «chakma» (pot d’échappement) fume comme une locomotive à vapeur, les lieux nocturnes sans issue de secours, les garagistes qui occupent les trottoirs, les tentes caïdales dressées pour les enterrements et les mariages, les voitures en deuxième position à la sortie des écoles ou devant les boulangeries, les marchands ambulants stationnés aux coins des rues, les mariages qui sont célébrés jusqu’à pas d’heure, les débits de boisson dont la licence passe de main en main, les autorisations de construire et les permis d’habiter non visés par une commission de contrôle, les projets de logements sociaux transformés en résidences de luxe, etc.

Tout cela est illégal. Des walis, des gouverneurs et des maires élus ont tenté de mettre fin à cette anarchie et à cet état de non-droit, sans succès. D’autres, la plupart, ont fait «œil de mica», fermant les yeux pour éviter de «réveiller les abeilles», selon la formule consacrée…

Tenez, la première chose que vous envisagez quand vous emménagez dans un nouveau local, une nouvelle maison, porte ce mot magique: les travaux! Mais bien sûr. Locataire ou propriétaire, le Casablancais casse les murs et refait tout ce qu’il peut refaire. En toute illégalité. Rien ne l’arrête: ni le syndic, ni l’agent d’autorité, ni personne. Il trafique les plans, lâche du bakchich, falsifie les rapports et offre une fête monumentale pour la pendaison de crémaillère. Avec un DJ qui diffuse une musique assourdissante jusqu’au petit matin.

Et ça ne t’étonne même pas, mon frère!

Alors à force de bénéficier de tous ces passe-droits, il arrive ce moment où le moindre rappel à l’ordre, la moindre petite sanction, sonnent comme une injustice. Et tout retour à la normale est interprété comme une mesure arbitraire. N’est-ce pas!

Par Karim Boukhari
Le 17/05/2025 à 09h01