Éducation nationale: aux origines d’un bras de fer inédit entre le ministère et les enseignants

Chakib Benmoussa, ministre de l'Éducation nationale, du préscolaire et des sports dans le gouvernement Akhannouch depuis le 7 octobre 2021.

Une profonde crise de confiance, des grèves qui n’en finissent plus et des enseignants qui se radicalisent jour après jour. Voici les non-dits des divers protagonistes dans le dossier, devenu explosif, de la réforme de l’éducation nationale.

Le 22/11/2023 à 13h18

Le mardi 21 novembre, les enseignants entamaient leur cinquième semaine de grève, avec un nouveau débrayage de 3 jours, assorti de la menace de tenir des sit-in devant les sièges des académies régionales. «Les enseignants pourraient opter pour pire au vu de la manière dont leur mouvement se radicalise, et on pourrait déboucher sur une grève ouverte», affirme une source à la Coordination nationale des enseignants.

Le 20 novembre, quatre syndicats (UMT, CDT, UGTM et FDT) étaient conviés à une première rencontre avec la commission ministérielle installée par Aziz Akhannouch, et ce rendez-vous a été un ratage monumental, un de plus. «Nous ne pouvions pas répondre à l’invitation à une rencontre sans aucun ordre du jour. C’est une autre fuite en avant du gouvernement», affirme une source syndicale, qui accuse l’Exécutif de désinformation.

«Le taux de participation aux grèves avoisine les 70%, voire davantage dans certaines régions, et non les 30% comme le laisse entendre le ministère. À l’avenir, il faudra s’attendre à des marches au lieu des actuels sit-in», ajoute la même source, qui rappelle le grand succès de la marche de Rabat, le 7 novembre, et, fait nouveau, le soutien des parents d’élèves.

Des syndicats débordés par les Coordinations

Quand le gouvernement appelle au dialogue, appel répété à maintes reprises par Aziz Akhannouch lui-même, il fait allusion aux quatre syndicats de l’enseignement, affiliés à l’UMT, la CDT, l’UGTM et la FDT, signataires de l’accord du 14 janvier 2023 qui a servi de base à la préparation du statut unifié des fonctionnaires de l’Éducation nationale. «Aujourd’hui, ces syndicats ne peuvent plus prétendre représenter les enseignants. C’est la Coordination qui mène désormais la danse», commente Mohammed Morsli Cherkaoui, enseignant à la retraite en ancien syndicaliste dans les rangs de la CDT.

«À les croire, ces syndicats ont signé un document avec le gouvernement, et disent s’être retrouvés avec un texte qu’ils n’avaient pas cautionné», poursuit notre interlocuteur. Le texte initial, affirme une source proche du dossier, aurait subi de profondes modifications lors de son passage par plusieurs départements ministériels, notamment celui des Finances, le ministère en charge de la Fonction publique et le Secrétariat général du gouvernement.

Les enseignants reprochent aussi au gouvernement les sorties «inamicales» de certains de ses membres. C’est le cas de Abdellatif Ouahbi, ministre de la Justice et patron du PAM (Majorité), qui avait déclaré qu’il était inacceptable que quiconque «torde le bras à l’État». Ou encore de Fouzi Lekjaa, ministre en charge du Budget, qui a affirmé qu’une éventuelle augmentation des salaires était tout simplement inenvisageable.

«Qui a dit que nous essayons de tordre le bras à l’État? Nous ne faisons que défendre nos droits, bafoués pendant des décennies», rétorque un syndicaliste, alors que nos sources affirment qu’il a bien été question, dans les revendications des enseignants, d’une augmentation des salaires de l’ordre de 2.500 dirhams.

L’autre décision qui a jeté de l’huile sur le feu de la colère des enseignants est la ponction sur les salaires des grévistes. «Nous sommes obligés de terminer tous les programmes, donc de travailler plus pour rattraper le temps perdu. De ce fait, la ponction sur les salaires est une décision absurde», commente Abdellah Ghmimet, membre dirigeant de la Coordination des enseignants, évoquant, en guise de modèle, les grèves tenues l’année dernière par les enseignants jordaniens et canadiens, durant plus de deux mois, et qui avaient abouti à de solides acquis.

Code pénal-bis

Quant à la question du statut unifié des fonctionnaires de l’Éducation nationale, qui semble polariser les critiques, les enseignants s’insurgent surtout contre son volet introduisant une myriade de sanctions, au point de le qualifier de «Code pénal bis».

«Il contient près de deux pages de sanctions, et cela porte atteinte à la dignité de l’enseignant», commente Mohammed Morsli Cherkaoui, qui critique autant le nombre des sanctions que leur nature, et surtout les procédures de leur application.

«Quand on est enseignant de mathématiques ou de SVT, comment est-il possible de se faire évaluer par un directeur d’établissement qui est à l’origine un enseignant de langue arabe?», s’insurge également Abdellah Ghmimet, qui affirme que le statut unifié, ainsi «imposé» aux enseignants, n’est qu’une compilation d’aberrations. En vertu de ce nouveau statut, un enseignant peut être affecté à n’importe quelle tâche, subir des heures supplémentaires sans être rémunéré pour...

Sur le volet sanctions, ce statut prévoit des dégradations «grades et échelles», retards de promotion, privation de primes de fin d’année… D’où la principale revendication des grévistes: le retrait pur et simple de ce texte de loi et l’ouverture d’un dialogue national. Certaines voix appellent même à l’arbitrage royal pour trouver une issue à ce blocage qui menace l’année scolaire en cours.

Par Mohammed Boudarham
Le 22/11/2023 à 13h18