Dieu, la guerre, le Soudan

Fouad Laroui.

Fouad Laroui.

ChroniqueQu’on crie «Dieu est grand!» quand on combat des païens ou des cannibales aghoris, ça va encore; mais quand on se castagne entre musulmans, non, là, franchement, y’a d’l’abus.

Le 19/04/2023 à 12h01

Au moment où j’écris ces lignes, mon poste de télévision est branché et une chaîne arabe transmet en direct et en continu des images des combats qui se déroulent dans la capitale du Soudan. Soyons clairs: j’ignore tout des affaires soudanaises -j’en suis resté au très beau film Khartoum de 1966, dans lequel le grand Laurence Olivier jouait le rôle du Mahdi et Charlton Heston celui du fameux général anglais Gordon. Quels acteurs! Quel film!

Comme il ne faut jamais perdre une occasion de s’instruire, j’ai suivi attentivement ce qui se passe depuis quelques jours dans ce grand pays africain.

Je n’ai rien compris.

Il semble que l’armée et une puissante force paramilitaire s’affrontent. Pourquoi? Mystère et boule de gomme (arabique). L’Organisation mondiale de la Santé affirme que plusieurs des neuf hôpitaux de Khartoum qui reçoivent des civils blessés n’ont plus de sang, plus d’équipement de transfusion, plus de fluides intraveineux… Incompréhensible ou pas, l’affaire est sérieuse.

J’ai appelé mon ami N. qui était, jusqu’à une date récente, consul d’un pays européen dans une ville du Soudan. «WTF?», lui ai-je demandé. «Ne te casse pas la tête, m’a-t-il répondu, c’est une sombre ratatouille dans laquelle on trouve des haines tribales, le legs de l’Histoire, la pulsion de dépeuplement et surtout l’ambition personnelle de quelques ganaches, au premier plan le général Abdel Fattah al-Burhane, chef de l’armée régulière, et le général Mohamed Hamdane Daglo, chef des Forces de soutien rapide (FSR)».

- Des chabakounis?

- Plus ou moins. Ce sont d’anciens miliciens de la guerre du Darfour devenus supplétifs de l’armée, qu’ils attaquent aujourd’hui.

- Drôle de supplétifs. Ça me rappelle mon voisin Piet, ‘llah y-rehmou, dévoré par son propre doberman.

Après avoir raccroché, j’ai de nouveau regardé l’étrange lucarne. Voici des miliciens des FSR, juchés sur un tank. Ils hurlent «Allahou Akbar!» Quelques instants plus tard, on change de correspondant de guerre; celui-ci est au milieu de membres de l’armée régulière. Ils braillent à l’unisson: «Allahou Akbar!»

Pardon?

Il y a quelque chose qui ne va pas. Ces cruches se massacrent au nom du même Dieu, en scandant les mêmes slogans?

Qu’on crie «Dieu est grand!» quand on combat des païens ou des cannibales aghoris, ça va encore; mais quand on se castagne entre musulmans, non, là, franchement, y’a d’l’abus.

Ça m’a rappelé que, pendant la Première Guerre Mondiale, les Églises participaient au conflit qui opposait pourtant des chrétiens à d’autres chrétiens. On voyait des évêques bénir des canons, de part et d’autre des tranchées. Ces canons allaient envoyer ad patres des coreligionnaires. Et Dieu reconnaîtra les siens? Lesquels?

Revenons au Soudan. Les explosions et les tirs retentissent dans mon poste, mêlés à de rauques «Allahou akbar!» Excédé, je l’éteins. Je mets à la place un CD de Bob Dylan et j’écoute la poignante chanson With God on our side. Le barde évoque, entre autres, la guerre civile américaine où l’on s’entretua pendant des années au nom du même Dieu…

Mais reconnaissons quand même qu’il y a un progrès. Il y a quelques années, Mgr Savva de Zelenograd, directeur adjoint du département des affaires de l’Église russe, avait annoncé que le patriarcat de Moscou ne bénirait plus les bombes atomiques. Dans un message posté sur sa chaîne Telegram, il avait précisé ceci: «Dans le cadre de la tradition ecclésiale, on considère que le soldat peut être béni dans le cadre de son service pour la défense de la patrie; ainsi, les armes qu’il porte sont bénies parce qu’elles sont liées à la personne qui a reçu la bénédiction. Mais les bombes atomiques, étant des armes non personnelles, ne peuvent pas être bénies».

Merci, Mgr Savva. Pas de signe de la croix pour la bombe H. Il est vrai qu’exterminer toute l’humanité au nom de Dieu semble un peu excessif. Il resterait qui, pour l’adorer?

Heureusement pour nous, l’armée soudanaise et ses chabakounis ne disposent pas de la bombe atomique. Nous sommes à l’abri de leur folie. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est dévaster leur pays et tuer leurs compatriotes.

Au nom de Dieu, bien sûr.

Par Fouad Laroui
Le 19/04/2023 à 12h01