La famille et les proches de Abdelali Mchiouer sont toujours dans l’impossibilité de faire leur deuil. Cela fait 46 jours qu’il est tombé sous les balles de la marine algérienne, après s’être perdu en mer, en compagnie de ses trois amis Bilal Kissi, Mohamed Kissi et Ismaïl Snabi, près des eaux maritimes algériennes limitrophes de Saïdia.
Le 29 août 2023, ce qui ne devait être qu’une promenade en jet-ski pour les quatre hommes s’est transformé en tragédie. Bilal Kissi et Abdelali Mchiouer subissent le destin le plus cruel, succombant au tir nourri des gardes-côtes algériens, tandis qu’Ismaïl Snabi est arrêté par ces derniers (et condamné depuis à 6 mois de prison ferme). Seul Mohamed Kissi réussit miraculeusement à leur échapper, avant d’être secouru ultérieurement par une unité de la Marine royale marocaine.
Alors que la dépouille de Bilal Kissi est retrouvée par la Marine royale, celle de Abdelali a été récupérée par les autorités algériennes et acheminées vers la morgue de Tlemcen. Depuis, la famille Mchiouer, épaulée par ses deux avocats, se bat sans relâche pour obtenir son rapatriement au Maroc. En vain, pour le moment.
Entre démarches administratives auprès d’Alger et sollicitations des organismes internationaux, la question de la «libération» du corps de Abdelali Mchiouer demeure encore un sujet épineux. Me Hakim Chergui, qui accompagne la famille dans leur périple judiciaire, aux côtés de Me Ghizlane Mouhtaram, détaille dans cet entretien avec Le360 les avancées, les blocages et les espoirs qui subsistent dans le combat de la famille Mchiouer face à la cruelle inflexibilité des autorités algériennes.
Le360: Quelles sont les démarches juridiques entreprises jusqu’à présent pour obtenir le rapatriement du corps de Abdelali Mchiouer?
Me Hakim Chergui: Nous avons commencé par identifier les autorités compétentes en la matière. Nous avons été orientés vers le parquet militaire de la Wilaya de Tlemcen, avec lequel nous avons engagé le dialogue par l’intermédiaire d’un confrère local. Par la suite, l’ensemble des procédures a été transféré au consulat marocain de Sidi Bel Abbès, qui est le consulat territorialement compétent.
Ce dernier a déployé tous les efforts nécessaires face à deux enjeux majeurs: d’une part, l’identification légale du cadavre et, d’autre part, la constatation médicale de la mort, préalable à l’inhumation au Maroc avec un laissez-passer consulaire. Bien que le consulat ait la compétence pour ces démarches, la coopération fait défaut du côté algérien. En effet, les équipes du consulat se sont pleinement mobilisées, sollicitant tant le ministère des Affaires étrangères que les autorités locales, y compris le parquet militaire. Mais leurs requêtes sont restées sans réponse.
Il est évident que le parquet militaire algérien refuse de collaborer avec les autorités consulaires marocaines. Dans l’impasse, nous avons adressé une lettre ouverte au président algérien, laquelle a été diffusée auprès de plusieurs médias algériens. Cependant, aucun n’en a fait écho. Aujourd’hui, profitant du retour de la famille Mchiouer en France, j’ai officiellement sollicité une audition avec l’ambassadeur algérien en France dans l’espoir de résoudre ce blocage.
Quel est l’état actuel de la procédure devant le Rapporteur spécial des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires?
La demande est toujours à l’Instruction. Les interventions de l’ONU nécessitent généralement du temps, pour une raison simple: il y a un seul Rapporteur pour le monde entier. Il faut savoir que pour le cas de l’Algérie, le pays a récemment accueilli en 2023 un Rapporteur spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association.
Ce rapporteur onusien, accompagné de son équipe, s’est rendu à Alger pour une période d’environ dix jours. Au cours de cette mission, il a eu des entretiens avec divers acteurs: opposants, représentants d’associations, avocats, personnalités politiques, ministres, entre autres. À la suite de ces rencontres, il a publié un rapport préliminaire. Il est prévu qu’un rapport complet définitif soit dévoilé dans un an.
De plus, il a tenu une conférence de presse à Alger, au cours de laquelle il a évoqué certains problèmes spécifiques. Le rôle d’un rapporteur est d’enquêter minutieusement sur place, à condition d’avoir l’aval du gouvernement concerné.
Les enquêtes des Rapporteurs onusiens sont menées avec rigueur, profondeur et précision. Dans le contexte de notre dossier, cela servira à tester le degré de soutien du gouvernement algérien à ses militaires. Si l’exécutif accède à la demande du Rapporteur spécial pour mener une enquête sur l’incident, cela sera un signe positif de collaboration. En revanche, s’ils refusent, cela signifiera, aux yeux de l’ONU, qu’ils sont les auteurs ou les co-auteurs de ce crime.
Aujourd’hui, quelles sont les attentes de la famille Mchiouer quant à la résolution de cette affaire? Dans quel état émotionnel et psychologique se trouvent ses membres?
La famille Mchiouer est, à ce jour, toujours aussi éplorée et sa douleur ne cesse de croître. Elle subit les affres du temps qui passe, privée du processus de deuil, comme si un être cher lui était continuellement arraché. C’est comme si quelqu’un avait été kidnappé, et au-delà de la mort, ils sont confrontés à cette disparition. C’est une immense épreuve pour eux. Je crois qu’ils ont choisi de repartir en France pour atténuer leur souffrance, car la distance physique peut aussi aider à s’éloigner de la douleur émotionnelle.
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Depuis la France, ils demeurent combatifs. Ayant fait leur retour il y a seulement deux jours, ils ont immédiatement entrepris des démarches auprès des autorités algériennes présentes en France. Aujourd’hui, nous avons sollicité un rendez-vous avec l’ambassadeur.
Avez-vous reçu un quelconque soutien international ou d’organisations non gouvernementales dans cette affaire?
Absolument aucun! Nous n’avons que le soutien populaire de personnes éprises de justice, que ce soit au Maroc, en Algérie ou en France. Au sein de la diaspora française, les communautés se mélangent, entre Marocains et Algériens. Il n’y a pas de clivage politique en France à notre égard. J’ai également reçu de nombreux messages de soutien de citoyens algériens, dont beaucoup évoquent le crime et prient pour les disparus. Cette solidarité, bien que silencieuse et passive pour le moment, est bel et bien présente.
Quelles sont les prochaines étapes prévues dans cette affaire sur le plan juridique?
Nous attendons les résultats des premières enquêtes menées à la fois au Maroc et en France. Le déclenchement de l’enquête internationale par le Rapporteur spécial de l’ONU est également anticipé. Selon ces conclusions, nous définirons nos prochaines démarches.
D’après vous, quelles sont les perspectives pour résoudre cette affaire et obtenir le rapatriement du corps de Abdelali Mchiouer dans un avenir proche?
Je ne peux pas me prononcer avec certitude. J’ose encore espérer que, du côté des autorités administratives et militaires algériennes, on prendra conscience que le caractère humanitaire de cette affaire doit permettre sa résolution rapide. C’est ma conviction. Cependant, nous subissons les conséquences d’un blocage diplomatique. Les autorités algériennes ne donnent pas suite à nos sollicitations et ne coopèrent pas avec nous.
Nous restons mobilisés et nous espérons que ce dossier demeurera au centre des discussions et de l’actualité, car c’est ce qui pourrait changer la donne. Qu’on n’oublie pas Abdelali Mchiouer et sa famille, et qu’on fasse de cette situation un exemple de ce qui doit être entrepris pour mettre fin à l’injustice.