Tebboune ou la diplomatie de l’esbroufe pour masquer l’isolement de l’Algérie

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, le 23 juillet 2025 à Rome.

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune, le 23 juillet 2025 à Rome.. AFP or licensors

En panne de stratégie claire et isolée sur la scène régionale, l’Algérie de Tebboune multiplie les mises en scène diplomatiques. Des réceptions sans fin d’ambassadeurs en fin de missions aux accords creux, ou perdants, avec l’Italie, en passant par des rendez-vous sans suite avec des leaders secondaires, c’est toute une diplomatie du paraître qui s’expose. Sans substance. Round-up.

Le 06/08/2025 à 08h32

Isolée sur les plans régional et international, marginalisée dans les grands équilibres stratégiques, larguée sur «son» dossier (le Sahara), l’Algérie d’Abdelmadjid Tebboune tente de masquer une bien gênante absence par un activisme diplomatique aussi frénétique que creux. Une agitation qui, à y regarder de près, relève davantage de la mise en scène que d’un réel positionnement géopolitique. Derrière les sourires officiels, c’est une diplomatie sans stratégie ni colonne vertébrale que déploie le président désigné. Les exemples ne manquent pas. Et certains sont franchement ridicules. Que dire sinon du défilé diplomatique sise le Palais El Mouradia dimanche 3 août dernier, où des ambassadeurs en fin de mission de quatre pays (Égypte, Soudan, Suède, Suisse) se sont relayés… pour dire adieu à Tebboune. Assez pour que présidence, agence officielle d’information et tous les médias en fassent de grandioses événements et un prétexte pour réaffirmer combien la «nouvelle Algérie» est grande, essentielle à l’équilibre du monde et incontournable dans le concert des nations.

Pour les choses sérieuses, il faudra repasser. Premier exemple frappant, les visites à Alger de deux représentants des géants américains de l’énergie ExxonMobil et Chevron. Un déplacement orchestré à l’ombre de l’escale algérienne de Massad Boulos, haut conseiller et émissaire pour l’Afrique du président américain Donald Trump pour lequel le seul intérêt que peut revêtir Alger tient au business. Et encore. Sur le papier, une avancée prometteuse. Dans les faits, rien. Ni leurs PDG ni aucun haut dirigeant n’a fait le déplacement. Juste deux cadres (John Ardill, en charge de l’exploration pour ExxonMobil et Joe Cook, en charge du développement commercial pour Chevron), reçus avec les honneurs par le président de la République. Et puis c’est tout.

Du bien informé journaliste franco-algérien Mohamed Sifaoui, qui consacre une éclairante vidéo au sujet, on apprendra que les discussions se sont soldées par de simples intentions d’études exploratoires pendant 7 à 8 ans, avec des projections d’investissement dans une décennie. Peut-être. La tromperie a été que Tebboune a fait croire à l’opinion publique que ces rencontres allaient relancer immédiatement l’économie algérienne. «L’Algérie entend s’appuyer sur ces partenariats pour consolider sa position de hub énergétique régional, tout en accompagnant les transformations mondiales que connaît le secteur», commentait notamment l’inféodé El Moujahid.

Dans ce cas comme dans bien d’autres, l’esbroufe tient lieu d’un projet industriel. À l’arrivée, zéro résultat économique et, au demeurant, une confirmation par Donald Trump de l’appui des États-Unis au rôle économique (bien réel) du Maroc dans la région et, accessoirement, à la souveraineté marocaine sur le Sahara. «Je tiens à réaffirmer que les États-Unis d’Amérique reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, et qu’ils soutiennent la proposition d’autonomie marocaine, sérieuse, crédible et réaliste, comme seule base pour un règlement juste et durable de ce différend», a souligné Donald Trump dans un message adressé la semaine dernière au roi Mohammed VI à l’occasion de la Fête du Trône. Si Alger tablait sur un «deal», il faudra remballer.

La position a par ailleurs été rappelée depuis Alger, et dans un journal algérien, par l’émissaire Massad Boulos. «Les États-Unis reconnaissent la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental et soutiennent la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc comme unique base pour une solution juste et durable au conflit. Les États-Unis continuent de croire qu’une autonomie réelle sous souveraineté marocaine est la seule solution envisageable… les États-Unis faciliteraient des progrès vers cet objectif», a insisté le haut conseiller de Donald Trump dans un entretien accordé au quotidien El Watan et publié hier lundi 4 août, rappelant une doxa ressassée par le secrétaire d’État Marco Rubio. Circulez donc, il n’y a rien à voir. Mieux, coincée entre son narratif historique et la pression diplomatique, l’Algérie se retrouve piégée. Si elle refuse de discuter, elle se met en porte-à-faux avec les États-Unis. Si elle accepte, elle renie 50 ans de doctrine. Un dilemme devenu le nouveau symptôme d’une diplomatie qui a perdu toute boussole.

Algérie-Italie: pour un flirt…

Il y a plus humiliant: la visite fin juillet dernier de Tebboune à Rome. Là encore, la communication s’est emballée et une quarantaine d’accords ont été annoncés. Pourtant, aucun ne s’accompagne de budget, d’échéancier ou de retombées concrètes. Dans le lot, la coopération sécuritaire au profit de l’Italie, des ventes d’armes par l’Italie et un mémorandum sur l’immigration pour le contrôle des flux de clandestins vers l’Italie. Le reste est à l’avenant. Soulignons la reconnaissance mutuelle du permis de conduire et la coopération postale. «N’oublions pas l’accord sur le sauvetage en mer au cas où la marine italienne viendrait à croiser des harragas algériens. Il paraît qu’il y a mêmes des pizzas pour réconforter nos candidats déçus», ironise Mohamed Sifaoui.

L’enjeu est ailleurs et c’est un autre journaliste algérien exilé en France, Abdou Semmar, qui le révèle. L’Italie déroule le tapis rouge à Abdelmadjid Tebboune, non pas pour ses qualités de chef d’État, mais parce qu’elle a décroché un jackpot énergétique à prix cassé. Derrière les accolades et les honneurs officiels se cache une réalité moins reluisante. L’Algérie brade son gaz à l’Italie dans des conditions qui confinent à l’aberration économique. Ce partenariat énergétique, vanté comme stratégique, est en réalité un deal déséquilibré où Rome engrange les bénéfices pendant qu’Alger encaisse les pertes.

Depuis 2022, les livraisons de gaz algérien à l’Italie se sont accélérées, portées par la guerre en Ukraine et le désengagement européen vis-à-vis du gaz russe. L’Algérie, déjà fournisseur historique de l’Italie via le gazoduc Transmed (capacité: 33 milliards de m³), a livré 22,4 milliards de m³ en 2022, puis 25,5 milliards en 2023, atteignant un record. Ces volumes représentaient alors 41% de la consommation gazière italienne. En 2024, la tendance s’est infléchie, avec une baisse des exportations à 21-22 milliards de m³, la Sonatrach n’ayant pas réussi à produire les volumes supplémentaires promis.

Mais au-delà des quantités, c’est le prix qui scandalise. L’Algérie vend actuellement son gaz à l’Italie entre 4 et 5 dollars par million de BTU, alors que ce même gaz est vendu à l’Espagne à 6,5 dollars, et que le GNL s’échange entre 11 et 15 dollars/MBTU. Les pertes potentielles sont abyssales: jusqu’à 7 à 10 dollars de manque à gagner par unité, soit plusieurs milliards de dollars par an. «En 2023, sur les 25 milliards de m³ exportés à l’Italie, l’Algérie aurait pu encaisser le triple en vendant son gaz en GNL sur le marché international», dénonce Abdou Semmar.

En échange, Rome offre à Tebboune un semblant de légitimité internationale que ni Paris ni Washington ne lui accordent. Pour cela, le président aux 5,6 millions de chouhadas n’a pas hésité à flirter avec Giorgia Meloni, cheffe de l’extrême droite italienne. Une ironie grinçante quand on sait avec quelle vigueur le régime algérien assimile tous ses détracteurs à l’extrême droite… française. D’un côté «la nouvelle Algérie» de Tebboune encense l’extrême-droite en Italie et de l’autre côté elle diabolise cette même extrême-droite en France. Mais visiblement, les incohérences et les contradictions comptent peu quand il s’agit de lustrer l’image...

Aumônes diplomatiques d’un pays qui manque de tout

En manque de partenaires de poids, l’Algérie se tourne vers des présidents de seconde zone: Zimbabwe, Liban… L’accueil réservé à Alger au président libanais Joseph Aoun, le 29 juillet dernier, a été pompeux. Les résultats, là encore, nuls. Si ce n’est que l’Algérie promet de reconstruire le Sud-Liban, bastion du Hezbollah, pendant qu’elle néglige son propre sud, délaissé et en crise.

L’Algérie, pays où les hôpitaux manquent de matériel, les entreprises crient famine en devises, et les citoyens roulent dans des épaves de plus de 30 ans, vient de signer un chèque de 200 millions de dollars pour cette reconstruction, sans conditions. Ce n’est ni un prêt ni une coopération structurée. C’est un «cadeau» en liquide sur lequel le pouvoir algérien est resté muet. L’information a fuité via l’agence russe TASS, puis a été confirmée par la presse libanaise.

En Algérie, nada. On y oublie au passage que le Pays du Cèdre est dans l’orbite d’influence des deux ennemis jurés du régime: la France et les Émirats arabes unis. Qu’à cela ne tienne. Pour paraître, Tebboune joue les mécènes internationaux pendant que son pays bloque les importations, bride les entreprises, freine les matières premières, rationne les médicaments et impose une rigueur extrême pour préserver ses réserves de change qui diminuent chaque mois. Un pays qui crie misère à l’intérieur et parade à l’extérieur: voilà l’absurde théâtre diplomatique d’Abdelmadjid Tebboune.

Et quand les choses tournent irrémédiablement mal, Tebboune a la solution: mentir. À en mourir. Lors d’une récente et pénible rencontre avec des journalistes algériens, Abdelmadjid Tebboune s’est surpassé en la matière: un investisseur malaisien s’apprêterait à injecter près de 20 milliards de dollars en Algérie. La moitié des réserves de change de l’Algérie.

En réalité, l’investissement évoqué concerne Lion Group, un conglomérat privé malaisien présent en Asie du Sud-Est et actif dans plusieurs secteurs (la sidérurgie, la métallurgie, l’automobile, le commerce et l’agriculture). Ce groupe, qui emploie 11.000 personnes, affiche cependant un chiffre d’affaires de… 2,4 milliards de dollars. Un investissement de 20 milliards, c’est 10 fois son chiffre d’affaires annuel. Quand on sait qu’ExxonMobil ou Chevron, pesant plus de 200 milliards de dollars, hésiteront encore très longtemps avant d’engager un penny en Algérie, il n’y a pas de sujet. Lion Group est d’ailleurs en «prospection» depuis 2020 chez le voisin.

«Les 20 milliards proclamés par Tebboune ne reposent pas sur un document signé, un plan de financement ou une feuille de route validée. C’est une manipulation médiatique, un écran de fumée pour faire croire que les investisseurs se bousculent aux portes d’un pays diplomatiquement isolé», conclut Semmar.

La multiplication des rencontres, des signatures, des photos et des mémorandums cache mal l’absence de stratégie, de projection, d’objectifs clairs. «Ce n’est plus de la diplomatie, mais une chorégraphie du vide», commente Mohamed Sifaoui. Pour lui, tant que le régime se réfugiera dans la mise en scène plutôt que dans l’action, dans l’apparence plutôt que dans l’impact, la diplomatie algérienne restera ce qu’elle est aujourd’hui: un théâtre d’ombres pour public captif. À croire que le régime algérien réfléchit, non pas pour mais contre les intérêts, du pays et de la population.

Par Tarik Qattab
Le 06/08/2025 à 08h32