Dans «Algérie: l’instabilité politique éternise la rupture avec le Maroc», son essai récemment paru aux éditions Fikr, Taieb Dekkar, ancien correspondant à Alger de l’agence Maghreb arabe presse (MAP), fait le point sur les relations maroco-algériennes, de 2019 à 2022.
Un récit chronologique, qui est en réalité une compilation d’articles de presse que cet agencier a publiés, entre 2019 et avril 2022. Des écrits qui concernent aussi bien les péripéties de la crise algéro-algérienne, née de la volonté d’un cinquième mandat que l’on allait attribuer à un Abdelaziz Bouteflika, malade depuis plusieurs années et à cette époque déjà quasiment réduit à l’état cadavérique qu’on lui sait, mais qui concernent aussi les relations maroco-algériennes, aujourd’hui réduites à néant.
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Témoin plus ou moins direct de plusieurs événements, l’ancien directeur du bureau de la MAP à Alger de 1989 à 1995, puis de 2002 à 2006, a donc assisté, sur place, à la naissance de la première expérience démocratique mort-née en Algérie: la constitution de février 1989, instaurant le pluralisme, la victoire du Front islamique du salut (FIS) aux communales de 1990, l’arrivée en pole position au premier tour des législatives de décembre 1991, le putsch des généraux Khaled Nezzar et Mohamed Mediène, dit «Toufik» contre ce processus en 1992, marquant le début de la guerre civile ou décennie noire… C’est au cours de cette période de démocratisation avortée en Algérie, marquée par un dégel entre le défunt roi Hassan II et le général Chadli Bendjedid, et une rencontre à Alger entre feu Hassan II et le chef du FIS, Abbasi Madani, que Taieb Dekkar situe la première et brève embellie dans les relations entre Rabat et Alger.
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L'auteur de cet essai ajoute que même si une nouvelle dégradation des relations entre les deux pays a été manifeste avec l’élection de Abdelaziz Bouteflika en 1999, un président choisi et soutenu par les généraux, qui finiront par le congédier sous la pression du mouvement populaire du Hirak, en avril 2019, c’est l’actuel pouvoir politico-militaire en place à Alger qui a annihilé ces relations.
Selon Taieb Dekkar, c’est en réalité le nouveau chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, qui est derrière le nouveau langage extrêmement «virulent et peu diplomatique, injurieux et diffamatoire à l'égard du Royaume», un langage désormais distillé par la revue El Djeich, porte-voix de l'armée algérienne.
L’arrivée de «Chengriha s'est couplée avec l'élection, discutable, d'Abdelmadjid Tebboune à la présidence algérienne, un homme “habité“ par une haine sempiternelle contre le Royaume. Ce duo a conduit l'Algérie à la rupture totale avec le Royaume», écrit-il.
Avec le Maroc, explique-t-il, «la rupture devrait ainsi s’éterniser. L’armée algérienne a montré à ceux qui avaient encore des doutes qu’elle détient encore la réalité du pouvoir et que les présidents, quels qu’ils soient, servent simplement de façade extérieure au régime» militaire.
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Rien de plus vrai que cette remarque de Dekkar. En effet, Abdelmadjid Tebboune n’a, d’abord, aucune légitimité historique. Il est le seul président algérien non issu des Moudjahidine, contrairement à l'ensemble de ses prédécesseurs, de Ben Bella à Bouteflika, en passant par Houari Boumédiène, Chadli Bendjedid, Mohamed Boudiaf, Ali Kafi ou encore Liamine Zeroual… Même si tout ce peloton de chefs d’Etat ont été choisis (puis renvoyés) par les services de renseignements militaires.
De même, lors de la présidentielle du 12 décembre 2019, Tebboune a été un mal élu, car en plus de sa désignation par l’armée, seuls quelque 5 millions d’électeurs, sur les 24,4 millions d’inscrits, se sont rendus aux urnes, selon les chiffres officiels. La réalité est, en fait, bien en-deçà...
C’est donc bien cette «Algérie nouvelle» du duo Tebboune-Chengriha, qui est décrite par l’auteur comme la continuation du modèle de pouvoir politique unique en son genre et ayant toujours prévalu en Algérie. Il s’agit d’un «régime militaire monolithique», corrompu, qui ne doit ses 60 ans de pouvoir ininterrompu qu’à l’usage sans retenue de la violence individuelle (avec l'assassinat d’opposants) et de la violence de masse (300 morts lors des manifestations du printemps berbère de 1988, plus de 200.000 et quelque 20.000 disparus durant la décennie noire des années 90). Il faut y ajouter les récents feux de forêts, et autres assassinats déguisés en Kabylie, région rebelle qui a été volontairement incendiée par le régime, en vue d’arrêter la progression du mouvement du Hirak, qui s'y est poursuivi (à Tizi Ouzou, à Bejaia, etc.) jusqu’à l’été 2021.
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Taieb Dekkar le signale à cet égard, le Hirak, qui revendique une vraie indépendance de l’Algérie, a donné raison à feu Houcine Aït Ahmed, l’un des cinq leaders historiques du Front de libération nationale (FLN) durant la guerre de libération. Non que le défunt chef du Front des forces socialistes (FFS) a toujours préconisé une Algérie pluraliste et démocratique (ce qui lui valut une condamnation à mort en 1964), mais surtout parce que Houcine Aït Ahmed a critiqué le soutien du régime militaire algérien au Polisario, en affirmant que «le régime algérien est mal placé pour parler d’autodétermination quand il refuse ce droit au peuple algérien».
«Les nouveaux dirigeants algériens, dont le Hirak conteste la légitimité, se distinguent par ailleurs, par rapport à leurs prédécesseurs, par leur hostilité génétique et pandémique contre le Royaume», écrit Taieb Dekkar. Une hostilité qui est allée crescendo ces deux dernières années, au rythme des échecs diplomatiques de l’Algérie sur le dossier du Sahara, que ce soit à l’Union africaine, qui s’en est dessaisie au profit de la seule ONU, au Conseil de sécurité, dont les résolutions penchent désormais en faveur du plan d’autonomie proposé par le Maroc, sans parler de la cuisante et décisive défaite militaire à El Guerguerat, du soutien américain à la marocanité du Sahara, et de celui de l’Espagne au plan marocain d’autonomie…
La caractéristique principale de «la nouvelle Algérie» du duo Tebboune-Chengriha, c’est qu’elle a systématiquement conduit à la pire dégradation encore jamais atteinte par les relations maroco-algériennes, aujourd’hui réduites à néant.
Est-ce que cela signifie que le dossier du Sahara ne sera jamais résolu? Non, estime l’auteur de «Maroc-Algérie: la méfiance réciproque» (paru en 2013), car le Hirak ne dort que d’un seul œil. Il est juste en stand-by, en vue de prémunir l’Algérie contre la violence de son gang de généraux. Avec lui, le pouvoir de ces derniers est devenu plus que jamais en sursis. Mais jusqu’à quand?
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Ce que l’on sait, c’est que tant que ce régime politico-militaire corrompu persiste, il n’y a pratiquement aucune chance de voir un rapprochement entre Rabat et Alger. C’est comme si ce régime se nourrit et se conserve grâce à son «hostilité génétique et pandémique contre le Royaume», écrit Taieb Dekkar, qui conclut qu’il «faut attendre que l'Algérie se mette sur les rails de la démocratie pour espérer une véritable normalisation, qui nécessitera certainement beaucoup de temps».
Ce récit chronologique, d’actualité, est aussi truffé d’anecdotes qui mettent clairement en exergue l’incurable complexe algérien vis-à-vis du Royaume.
Ainsi, Taieb Dekkar se demande, par exemple, pour quelle raison la presse algérienne n’est jamais allée sur place, dans le Sahara marocain, pour décrire à l’opinion algérienne le développement socio-économique sans précédent que connaît cette région du Maroc, alors que les journalistes marocains se sont rendus à plusieurs reprises à Tindouf et ont rapporté la misère des camps sahraouis. Lui-même a questionné à ce sujet l’ancien président du Polisario, Mohamed Abdelaziz el Marrakchi, lui demandant directement pourquoi il n’est jamais allé rendre visite à son père, qui vit dans la région de Marrakech, et donc dans le pays qui l’a éduqué et vu naître et grandir.
Autre anecdote de Taieb Dekkar, celle relative à Abdelkader Messahel, l’ancien ministre algérien des Affaires étrangères, qui avait, un jour, demandé à un orchestre andalou à Alger de lui chanter «Zine El Fassi», une chanson marocaine dont il dit qu’elle lui «coule dans les veines, comme toute la musique andalouse marocaine». Ce qui n’a pas empêché ce fils de Tlemcen, une ville dont Air Algérie vient de reconnaitre le riche passé marocain, de déclarer devant un forum économique à Alger, par pure jalousie, que la RAM transportait «autre chose que les passagers» vers l’Afrique subsaharienne. Abdekader Messahel aura eu au moins le mérite de ne pas se braquer contre le format des tables rondes, préconisé par Horst Köhler, l’ex-envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU. C’était du temps où l’Algérie savait encore sauver les apparences, et ne pas se mettre au ban de la communauté internationale. Une période révolue, avec le duo Chengriha-Tebboune, enragé et compulsif.