Mercredi 19 octobre à l’aéroport de Casablanca. Un policier aux frontières examine le laissez-passer d’un citoyen marocain, expulsé depuis la France. Le nom, inscrit sur ce laissez-passer délivré par le consulat général du Maroc à Paris est bien enregistré dans sa base de données. Mais l’examen des traits de cet individu, dont les initiales sont S.M.A, et celui de ses empreintes digitales ne correspondent pas à l’identité du citoyen marocain, dont les données étaient accessibles sur son écran.
Ces vérifications préliminaires ont permis au policier de parvenir à cette conclusion certaine: l’homme qui se tenait devant lui n’était pas celui dont le nom était mentionné sur le laissez-passer, délivré par le consulat du Maroc à Paris.
La photographie et les empreintes ne concordaient pas avec l’identité de ce citoyen marocain, dont le nom avait été soumis par les autorités françaises à l’ambassade du Maroc, en France, en vue de délivrer un laissez-passer, document indispensable à son expulsion du territoire français.
La supercherie est vite apparue au grand jour. L’homme, qui est présenté comme un Marocain, se nomme Ahmed Ben Ali, et il est, en fait, de nationalité tunisienne.
Si son laissez-passer est authentique, la photographie d’identité qui l’accompagne n’est pas celle de ce citoyen marocain répondant aux initiales de S.M.A, pour lequel la demande de ce document avait été formulée par les autorités françaises.
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L’accès au territoire du Royaume est donc refusé à Ahmed Ben Ali, et il est renvoyé le jour même en France, a pu apprendre Le360 des autorités aéroportuaires.
Les laissez-passer consulaires sont aujourd’hui devenus un sujet de politique intérieure de premier ordre en France. Ce pays, rappelons-le, a pris en septembre 2021 la décision de réduire drastiquement l’octroi de visas aux Marocains, aux Algériens et aux Tunisiens.
Une décision qui a été présentée par le gouvernement français comme un moyen de pression sur ces trois pays, après qu’il a été confronté, selon ses dires, à leur refus d’accueillir leurs ressortissants en séjour illégal en France, alors qu’ils se trouvaient sous le coup d’un arrêté d’expulsion du territoire français– une obligation de quitter le territoire français– OQTF, selon le jargon employé par le ministère français de l’Intérieur.
«Une décision rendue nécessaire par le fait que ces pays n'acceptent pas de reprendre des ressortissants que nous ne souhaitons pas et ne pouvons pas garder en France», avait alors expliqué le porte-parole du gouvernement français, Gabriel Attal, annonçant dans la foulée une baisse de 50% du nombre de visas délivrés pour les ressortissants du Maroc et de l'Algérie et de 33% pour ceux de la Tunisie.
Les laissez-passer consulaires sont donc devenus un sujet de politique intérieure, en France, qui passionne autant les élus que les médias, comme le prouve l’imbroglio relatif à l’expulsion de l’imam marocain Hassan Iquioussen.
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L’abject assassinat de Lola, une collégienne de 12 ans, le 14 octobre dernier, par une femme de nationalité algérienne, a vivement ému l’opinion publique française.
L’assassin présumé de l’enfant faisant justement l’objet d’une OQTF, le débat sur les expulsions d’immigrés clandestins a donc repris de plus belle.
Les pressions médiatique, politique et de l’opinion publique sont-elles toutefois des raisons suffisantes pour recourir à n’importe quel moyen pour accélérer les expulsions d’immigrés indésirables? Y compris le fait d’avoir recours à des procédés frauduleux?
Il est de fait difficile de croire à une erreur, due au stress que ressentent actuellement les fonctionnaires français, qui ont bizarrement communiqué aux autorités consulaires du Royaume l’identité d’un citoyen marocain pour leur remettre, en fait, un homme de nationalité tunisienne, portant, dans une curieuse homonymie, le patronyme d’un ancien chef d’Etat.
En tout état de cause, n’eut été l’habituelle vigilance de la police marocaine des frontières, la supercherie aurait bel et bien fonctionné. Une supercherie qui laissera des traces, et qui ne favorise aucunement la coopération des consulats marocains avec les autorités françaises. Les futures demandes de laissez-passer feront donc probablement l’objet d’examens très approfondis, avant qu’une quelconque suite ne leur soit donnée.