Si elle n’est pas officiellement présentée comme un rappel, la décision est «symboliquement lourde de sens dans un contexte de tension persistante avec Paris», souligne le média panafricain.
Ce changement de poste survient dans un «contexte de crise» entre le Maroc et la France, et «comporte une très forte charge symbolique», souligne-t-on.
«Car si Benchaâboun, en tant qu’ancien ministre des Finances et ex-patron de la BCP (Banque centrale populaire), a le profil idoine pour diriger cette structure appelée à jouer un rôle clé dans la relance post-Covid, son départ de la capitale française, un an à peine après son arrivée à cette chancellerie, sonne comme un rappel qui ne dirait pas son nom», poursuit-on.
«Nous sommes clairement entrés dans une guerre de symboles», commente un «fin connaisseur» de la diplomatie marocaine, cité par le magazine.
Rééquilibrage par la base«Après les restrictions autour des visas, mesure punitive et vexatoire visant avant tout les hauts responsables marocains, et voulue par Emmanuel Macron lui-même, et l’absence totale d’égards aux us et coutumes du royaume, ce dont témoigne à la fois le gap entre les profils de diplomates envoyés par Paris et ceux diligentés par Rabat, il est normal que le Maroc, très attaché à l’idée de la réciprocité des relations, procède à une sorte de rééquilibrage par la base», poursuit la même source.
Il s’agit, souligne Jeune Afrique, d’un «rééquilibrage qui se traduit ici par un parallélisme de formes».
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Depuis le départ en août dernier de l’ambassadrice de France au Maroc Hélène Le Gal, personne n’a été nommé pour la remplacer. Et bien que plusieurs noms de candidats potentiels pour diriger la chancellerie française à Rabat aient circulé, aucun n’a été retenu pour le moment par l’Élysée, qui ne semble pas pressée de mettre un terme à cette vacance.
En attendant, l’intérim est assuré par Arnaud Pescheux, nommé ministre conseiller à l’ambassade cet été. Ce qui laisse penser aux Marocains que pour la France, et tout particulièrement pour le président Emmanuel Macron, le Maroc n’est absolument pas une priorité, relève le média panafricain.
Ce qui n’est bien évidemment pas du goût de Rabat, note le média panafricain. «Loin d’être un désaveu de Benchaâboun, ce départ montre surtout que le malaise entre la France et le Maroc s’installe dans la durée», croit savoir une source proche du Palais, citée par Jeune Afrique.
Certes, il semblait isolé à Paris et n’était pas encore parvenu à tisser beaucoup de liens au sein de l’élite politique française. Mais malgré l’absence de tropisme marocain à la fois du conseiller diplomatique Emmanuel Bonne et de la ministre des Affaires étrangères Catherine Colonna, Mohamed Benchaâboun travaillait à développer son réseau en s’appuyant notamment sur le cercle des amis du Maroc en France. «Cela ne suffit pas du tout à justifier un retour au Maroc, un an seulement après son arrivée en France», poursuit la même source.
«Morocco first»Aux yeux de plusieurs responsables marocains contactés par Jeune Afrique, la décision de confier la direction du fonds souverain à l’ambassadeur est aussi «emblématique» du nouveau dogme politico-diplomatique marocain, que l’on peut résumer en une expression: «Morocco first».
«Dans le sillage du discours royal de la rentrée parlementaire le 14 octobre, où le monarque a mis l’accent sur le renforcement de l’investissement privé, international comme national, l’opérationnalisation du Fonds Mohammed VI et l’accélération de sa mise en place est devenue une priorité. Qui mieux que Mohamed Benchaâboun pour le diriger? Non seulement il a joué un rôle majeur dans la préparation des premiers textes législatifs devant encadrer les missions et prérogatives de ce fonds puisque c’est lui qui était à la tête du ministère des Finances (2018-2021) au moment de sa création, mais il a également une légitimité technique», estime l’un d’eux.
A la suite de la nomination de Benchaâboun en octobre 2021 au poste d’ambassadeur du Maroc à Paris, Nadia Fettah Alaoui, qui l’a remplacée au ministère des Finances, avait aussi pris le relais et fait avancer la question de la définition de la feuille de route du fonds. Aujourd’hui, sa structuration a pris du retard, et requiert la présence d’une figure capable de le mettre en œuvre, note la publication.
«Certes, le Maroc ne manque pas de profils adéquats. Mais Benchaâboun connaît la finance, le private equity, le financement de grands projets et maîtrise les rouages de l’Etat et des finances publiques. Ce qui en fait probablement un des meilleurs», relève-t-on.
«A quoi bon laisser un haut commis de l’Etat, une personnalité du calibre de Benchaâboun, en poste à Paris dans le contexte actuel? Les relations entre le Maroc et la France étant gelées, et pas près de se débloquer, c’est comme mettre en jachère des compétences hautement utiles au royaume», abonde ce connaisseur de la politique marocaine.
Ce fonds souverain, créé à l’initiative du roi Mohammed VI et doté d’une enveloppe de 45 milliards de dirhams (dont 15 milliards issus du budget général de l’Etat et 30 milliards auprès des investisseurs institutionnels, nationaux et internationaux) est appelé à injecter des fonds propres dans des entreprises privées marocaines porteuses de grands projets d’investissement, et agira comme créateur de richesse et d’emploi. Il servira également à renflouer les fonds propres des entreprises marocaines, grandes comme moyennes, pour leur permettre de diluer l’effet de l’endettement massif post-Covid.
Et d’ajouter qu’en cela, ce fonds est considéré comme un «outil stratégique» pour l’Etat marocain pour relancer l’économie du pays, et participer à l’objectif fixé par le Roi au secteur privé d’atteindre 550 milliards de dirhams d’investissement d’ici 2026.
Benchaâboun, ancien grand patron de banque et ancien ministre des Finances, a toute légitimité pour mettre en œuvre ce chantier royal. Surtout, il bénéficie d’une confiance totale, aussi bien de la part des opérateurs publics que privés. Dans une situation de «chômage technique» à Paris, son expérience, son background et ses compétences seront à coup sûr mieux exploités au Maroc, conclut Jeune Afrique.