La prise d’Alger en juillet 1830 a pour origine immédiate la filouterie de deux aigrefins qui dupèrent à la fois la France et la Régence turque d’Alger avec la complicité de Talleyrand.
Tout débuta en 1796, quand le Directoire emprunta un million de francs sans intérêts à Hassan Pacha, dey turc d’Alger (1791-1798), somme destinée à l’achat de blé dans la Régence. Avant la révolution, les achats par la France y étaient faits par la Compagnie royale. Après 1794, aux grands services de l’État succéda l’Agence nationale laquelle eut recours à deux négociants, Jacob Cohen Ben Zahout dit Bacri, et Neftali Bou Djenah dit Busnach.
La manière dont, de fil en aiguille, ces derniers réussirent à devenir les intermédiaires exclusifs entre la France et la Régence d’Alger mérite d’être exposée. Étant en faveur auprès du bey turc de Constantine, Busnach fut chargé par ce dernier de lui procurer une parure qu’il voulait offrir à la favorite du dey d’Alger, son supérieur hiérarchique. Busnach s’acquitta de cette demande et présenta au bey un diadème acheté 30.000 francs à Paris, qu’il lui revendit 300.000 francs… Or, l’achat fut remboursé à Busnach sous la forme de 75.000 mesures de blé d’une valeur de quatre francs la pièce, qu’il revendit à 40 francs pièce à la France, soit un coquet bénéfice de 3.450.000 francs.
Désormais introduit à Paris, le tandem Bacri-Busnach obtint ensuite l’exclusivité des fournitures de blé à la République au départ de la Régence d’Alger. Afin de multiplier leurs gains, les deux compères s’entendirent avec les corsaires d’Alger qui interceptèrent certains convois, ce qui leur permit de revendre plusieurs fois la marchandise à la France. Un stratagème qui fut dénoncé par le consul de France à Alger, Jean Bon Saint-André. Aussi, en 1797, le Directoire suspendit les versements jusque-là faits sans contrôle aux deux compères, ce qui eut donc pour conséquence que le dey d’Alger ne fut pas payé.
Bacri et Busnach persuadèrent alors ce dernier que sa seule chance de récupérer sa créance auprès d’eux était qu’il fasse directement valoir aux autorités françaises que les sommes qui leur étaient dues devaient en réalité lui revenir… Résultat, en 1800, les deux compères reçurent un acompte de 3.175.632 francs qu’ils ne remboursèrent pas au dey d’Alger.
Ne voyant rien venir, le 12 août 1802, le dey Mustapha écrivit une nouvelle fois à Paris en demandant que la facture présentée par Bacri et Busnach soit acquittée, car il s’agissait de son argent. Les deux hommes présentèrent alors aux autorités françaises une nouvelle ardoise augmentée des intérêts s’élevant à 8.151.000 francs. Probablement à la suite d’une intervention de Talleyrand, un second acompte de 1.200.000 francs leur fut versé, mais le dey ne fut pas davantage remboursé…
Perdant patience, ce dernier exigea alors le versement immédiat de 7 millions de francs.
Tout resta cependant en l’état jusqu’en 1819, c’est-à-dire sous la Restauration, quand la France décida de solder cette affaire. Les commissaires royaux aux comptes menèrent alors une enquête approfondie aux termes de laquelle la créance de la France, que le tandem Bacri-Busnach estimait désormais avec les intérêts à 24 millions de francs, fut ramenée à 7 millions, somme payable en douze versements de 583.333,33 francs. Cependant, nombre d’armateurs, notamment marseillais, n’ayant jamais été payés par la paire Bacri-Busnach, et le dey devant quant à lui de fortes sommes à des privés français, 2.500.000 francs furent mis en réserve à la Caisse des dépôts.
Le dey Hussein (1818-1830), qui avait hérité des créances Bacri-Busnach, ne comprit pas pourquoi cette somme avait été consignée et pourquoi elle ne lui était pas immédiatement versée. S’impatientant, il fit porter son courroux sur le consul de France Pierre Deval dont il demanda le rappel à Charles X.
Or, la réponse française n’était pas arrivée quand, le 30 avril 1827, se produisit «l’incident Deval». Étonné de voir encore figurer le consul parmi les représentants des nations étrangères accréditées à Alger sur délégation d’Istanbul, le dey le congédia. Se voulant méprisant, il lui notifia qu’il devait se retirer de sa vue au moyen du chasse-mouches qu’il tenait à la main. Il n’y eut pas de soufflet donné à Deval, mais la France exigea néanmoins des excuses, que le dey refusa… De fil en aiguille, voilà comment fut décidée l’expédition d’Alger.