Plus qu’un client, un solide partenaire: comment le Maroc devient l’allié de la Chine, aux dépens d’Alger

Le prince héritier Moulay El Hassan a reçu, jeudi 21 novembre à Casablanca, le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping.

Chercheuse au sein de l’Institut allemand pour la politique et la sécurité internationales, Isabelle Werenfels revient en détail sur la place prépondérante qu’occupe désormais le Maroc sur l’échiquier des partenaires économiques et géostratégiques mondiaux de la Chine. Le Royaume, avec son statut de coproducteur, évince largement l’Algérie, réduite à un simple client de l’Empire du Milieu.

Le 29/11/2024 à 16h02

Le temps où l’Algérie pouvait se gargariser d’être le principal allié et partenaire de la Chine dans la région est définitivement révolu. Désormais, c’est avec le Maroc que l’Empire du Milieu consolide ses relations stratégiques. Le constat est d’Isabelle Werenfels, chercheuse au sein de l’Institut allemand pour la politique et la sécurité internationales, une émanation du think tank SWP (pour Stiftung Wissenschaft und Politik). L’institut est l’une des institutions de recherche les plus influentes en Allemagne sur les questions de politique étrangère et de sécurité. Il conseille tant le Bundestag (Parlement) allemand que le gouvernement fédéral et les décideurs politiques. Il est également très écouté au sein de l’UE, de l’OTAN et des Nations unies.

Intervenant dans le cadre de la 10ème édition des Dialogues méditerranéens (Rome MED-Mediterranean Dialogues 2024, 25-27 novembre), les conclusions de la chercheuse à la division Moyen-Orient et Afrique du SWP, sont sans appel: l’Algérie est depuis toujours un simple client pour Pékin alors que le Maroc, lui, est devenu un partenaire. L’écart est immense. «Jusqu’à récemment, l’Algérie était le principal interlocuteur de la Chine au Maghreb. Mais maintenant c’est le Maroc. C’est le cas s’agissant notamment du partenariat maroco-chinois qui se développe dans le domaine de la production des batteries pour véhicules électriques», a-t-elle expliqué. Pendant ce temps, pour la Chine, l’Algérie est un marché. «En Algérie, il s’agit surtout d’infrastructures, alors qu’avec le Maroc, il s’agit davantage de fabrication».

L’intérêt pour la Chine est évident: la possibilité de bénéficier de l’accord de libre-échange entre le Maroc et les États-Unis ou encore l’Europe. Pour le Maroc, ce partenariat aide à entrer dans les chaînes de valeur, a encore expliqué Isabelle Werenfels.

Pour elle, ce n’est pas du tout un hasard si le président chinois, Xi Jinping, a choisi, jeudi 21 novembre dernier, de faire escale à Casablanca en provenance du Brésil, où se tenait le G20, à destination de Pékin. «C’est très significatif. Et tout aussi significatif est le fait qu’il ait été reçu par le Prince héritier, et non par le Roi. Ce sont deux signaux à considérer à la fois du point de vue national et géopolitique», a estimé la chercheuse du think tank berlinois.

Un développement «sain» des relations Maroc-Chine

Plus qu’une rencontre tout en symbole, les entretiens entre le président chinois et le prince héritier Moulay El Hassan ont été une occasion de (re)poser le cadre de partenariat entre les deux pays. L’agence officielle chinoise d’information, Xinhua, rapporte à ce titre que Xi Jinping a réaffirmé devant le Prince héritier la volonté de Pékin de continuer à travailler avec le Maroc pour se soutenir fermement sur les questions concernant leurs intérêts fondamentaux respectifs, et à promouvoir un plus grand développement du partenariat stratégique Chine-Maroc.

Le président a souligné que la Chine et le Maroc avaient connu «un développement sain de leurs relations», avec une coopération pratique fructueuse et des échanges de plus en plus dynamiques dans divers domaines. Partant, la Chine soutient les efforts du Maroc dans la préservation de sa sécurité et sa stabilité, a affirmé le chef de l’État chinois. S’il ne s’agit pas, aussi, d’une évolution en vue de Pékin à l’égard de la question de l’intégrité territoriale du Royaume et de son Sahara, nous n’en sommes pas bien loin.

En attendant, la coopération Maroc-Chine se déroule sur le terrain du concret et du réel, loin des slogans entonnés plus à l’Est, sans effet aucun. Le Royaume est devenu une destination majeure des investissements chinois, et ce, dans des domaines aussi pointus que l’industrie, les technologies ou les énergies renouvelables. Comptons notamment un accord d’une valeur de 6,4 milliards de dollars pour construire une grande usine de batteries pour voitures électriques près de Rabat. À l’heure actuelle, la Cité Mohammed VI de technologie de Tanger, une zone manufacturière et technologique parrainée par la Chine, abrite des dizaines d’entreprises chinoises. Sans oublier l’investissement chinois croissant dans le secteur marocain des TIC et les accords qui l’accompagnent entre Huawei et divers acteurs marocains.

En 2022, la Chine est devenue le troisième partenaire commercial du Maroc et le premier partenaire en Asie, avec un volume total d’échanges commerciaux atteignant 7,6 milliards de dollars. Comme le Maroc est depuis l’année dernière le troisième pays le plus attractif pour les investissements chinois en Afrique, après l’Égypte et l’Afrique du Sud.

Quand le brillantissime et intraitable Carlos Tavares cite le Maroc en exemple

Le Royaume est devenu la principale porte d’entrée de la Chine vers l’Afrique du Nord et de l’Ouest, mais aussi l’Europe et les États-Unis, comme le souligne la chercheuse allemande. À la proximité géographique et la possibilité de contourner les barrières douanières imposées par l’Occident contre la Chine, s’ajoute l’environnement prometteur pour développer une production industrielle à forte intensité.

Dans une récente interview accordée au quotidien espagnol El Mundo, le tout-puissant, brillantissime et peu amène Carlos Tavares, président-directeur général du géant automobile Stellantis (14 marques emblématiques) est revenu avec force détails et une admiration certaine sur les atouts du Maroc. En prime, l’approche proactive des autorités et la coordination plus directe et efficace, qu’il considère comme un modèle par rapport à la bureaucratie européenne. «Au Maroc, les gens sont très proactifs et orientés business». Autre avantage, les coûts de production compétitifs. À l’arrivée, des véhicules abordables, mais avec des standards de qualité élevés. Pour preuve, l’usine marocaine de Stellantis produit actuellement 200.000 véhicules par an, principalement des Peugeot 208, et prévoit de doubler sa capacité d’ici 2027, en introduisant de nouveaux modèles. En face, le verbiage du voisin algérien et ses auto-guili-guili ont beau polluer les médias et les réseaux sociaux du pays, son tissu économique ne fait pas le poids. De là à devenir le partenaire de la deuxième puissance économique mondiale qu’est la Chine, il faut se lever de bonne heure.

Par Tarik Qattab
Le 29/11/2024 à 16h02