* Professeur affilié à la Faculté de gouvernance, des sciences économiques et sociales de l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), Mohammed Loulichki est Senior fellow au Policy center for the new south, spécialiste en diplomatie, résolution des conflits et droits de l'homme. Il a une expérience de 40 ans dans la diplomatie et les affaires juridiques. Il a assumé, entre autres, les fonctions de chef du département des affaires juridiques et des traités au ministère des Affaires étrangères. Il a également été ambassadeur du Maroc en Hongrie, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie (1995-1999), ambassadeur-coordonnateur du gouvernement du Maroc auprès de la MINURSO (1999-2001) et ambassadeur du Maroc auprès des Nations Unies à Genève (2006-2008) et à New York (2001-2003 et 2008-2014).
Le budget de l’armée algérienne va augmenter de 130%, pour se situer à 23 milliards de dollars en 2023. Qu’est-ce qui justifie cette hausse?Cette augmentation de budget est tout simplement inédite. Lorsqu’un pays décide une hausse de la sorte de l’enveloppe réservée à son armée et ses équipements, il y a trois hypothèses. Les besoins peuvent être soit offensifs, soit défensifs ou encore liés à des menaces internes, terroristes ou de guerre civile. Pour l’Algérie, aucune de ces thèses n’est d’actualité. Mais un début d’explication est à trouver dans le récent changement de la Constitution [du pays] et l’intention de l’Algérie d’exporter son armée à l’extérieur de ses frontières et d’agir dans son environnement et voisinage immédiats, plus particulièrement au Mali. Cela peut expliquer la volonté du pouvoir algérien de s’équiper davantage en armes mais n’explique pas une hausse aussi importante. 130% est un taux qui interpelle.
Lire aussi : Algérie: le régime débloque un budget record de 23 milliards de dollars pour l’armée
Une autre explication tient au fait que l’Algérie a toujours cette nostalgie des années 70, soit au plus fort de la guerre froide et le rôle que le non-alignement a joué sur les plans multilatéral et international à cette époque. Aujourd’hui, l’Algérie nourrit cette ambition de s’exposer diplomatiquement. D’où le rôle qu’elle essaie de jouer au Mali, au demeurant contrarié par les résultats. D’où également cette tentative de jouer au médiateur entre l’Egypte et l’Ethiopie. Ce qui est sûr, c’est que le pouvoir algérien veut revenir sur la scène internationale.
La conflit entre la Russie et l’Ukraine, a-t-il accéléré la tendance au surarmement de l’Algérie? Et à quel prix?Il est clair que l’environnement international a changé et que la guerre entre la Russie et l’Ukraine a mis en évidence la nécessité pour les Etats de se procurer des moyens et des outils pour défendre leur intégrité territoriale. Cela étant, on peut investir (dans l’armement, Ndlr), mais raisonnablement. En cela, il y a probablement des objectifs inavoués de la part des dirigeants algériens. Ces derniers sont galvanisés par le boom enregistré en matière de prix des hydrocarbures dont l’Algérie est exportateur.
Le bon sens voudrait que, quand il y a un surplus de recettes pour un pays en développement, ces revenus soient mobilisés dans des projets socio-économiques, d’infrastructures, dans l’éducation et la culture. Mobiliser autant de moyens pour le seul armement? Je suis sûr que si l’on procède à un sondage auprès de l’opinion publique algérienne, celle-ci exprimerait d’autres priorités.
Le manque d’efficacité de l’armement russe face à l’Ukraine, pourrait-il inciter l’Algérie à se tourner vers d’autres fournisseurs?Nous savons tous que lorsqu’un pays est traditionnellement le client d’une source d’approvisionnement donnée en armement, il devient conditionné. L’armement vient avec une technologie spécifique, une formation précise et la possibilité d’une interopérabilité. Il est ainsi difficile de changer de fournisseur du jour au lendemain et on ne peut le faire que progressivement. Un Etat-client peut le faire sur un coup de tête, parce qu’il a été contrarié par tel ou tel fournisseur. Cela a valeur de message ou d’avertissement audit fournisseur mais ça finit toujours par se dissiper.
Cela étant, l’Algérie pourrait avoir tiré des leçon de la guerre Russie-Ukraine. Malgré la différence énorme entre les armées des deux pays, des questions légitimes se posent, notamment s’agissant de l’approche quantitative de l’acquisition d’armes. On peut disposer d’une centaine de chars mais lorsqu’une dizaine de ceux-ci peuvent être détruits toutes les heures ou tous les jours par un petit dispositif, il y a certainement là des enseignements à tirer.
Lire aussi : Abdelhak Bassou: les raisons de l’armement massif décidé par le pouvoir algérien
Au vu de la rivalité entre le Maroc et l’Algérie, en quoi la stratégie algérienne nous engage-t-elle?Je récuse le terme de rivalité, parce que le Maroc n’est le rival de personne. Il a sa stratégie, et nous avons une vision royale qui entend conduire le Maroc vers une société paisible, développée, démocratisée et ouverte sur le monde, politiquement, diplomatiquement et culturellement. Nous ne sommes contre personne. Mais lorsque ce voisin immédiat s’arme de cette manière, tout pays est en droit de chercher à répondre à une tendance aussi agressive.
Même si, premièrement, nous n’avons pas les moyens d’investir aussi massivement que le voisin algérien. Deuxièmement, et en plus de la défense de l’intégrité territoriale du pays, notre souci, au Maroc, est d’investir dans l’humain. S’agissant de l’armement, le Maroc investit intelligemment, sélectivement et qualitativement pour se donner les moyens d’appliquer sa politique, essentiellement défensive.
Dans le monde d’aujourd’hui, quels sont les éléments qui font la force d’une armée?Techniquement, ce qui fait la force d’une armée est sa capacité à investir là où elle peut être effective et de manière à dissuader son adversaire. Mais le facteur psychologique est déterminant. Une armée, quel que soit son équipement, doit être motivée. Autrement, elle ne sera pas efficace. Le Maroc est dans une approche de légitime défense. Nous défendons notre intégrité territoriale, nos Provinces du Sud et notre modèle sociétal. L’armée est une composante de cette société. Loin d’en être détachée, elle en fait partie intégrante. C’est cette motivation citoyenne de l’armée marocaine, et le consensus national autour du projet sociétal marocain, et autour de la défense de notre territoire, qui nous sert d’atout et d’avantage, au-delà de tous les moyens techniques dont nous pouvons disposer.