L’Aïd, le temps des vœux… Dans ceux formulés, lors d’un «échange franc et amical», entre les présidents français et algérien, la fin du mois sacré a semblé également signer celle d’une crise diplomatique sévère, glaciale sur l’échelle des relations entre Paris et Alger dont le président Tebboune aime à dire qu’elles alternent entre sirocco et coups de froid, sans doute la plus grave depuis 1962. Selon un autre barème, celui des punitions et humiliations, le «dialogue franco-algérien» a goûté toute l’inventivité d’un régime déclinant ses classiques, rappel d’ambassadeur et sanctions économiques, prouvant sa modernité – campagne de moudjahidines 2.0 sur les réseaux sociaux – et dépassant toutes les bornes: retour à l’envoyeur d’Algériens faisant l’objet d’une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF) aux profils patibulaires et, horresco referens, enlèvement, sur le tarmac de l’aéroport Boumediene, de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal…
Le point de départ de cette salve d’amabilités? Le message adressé au roi Mohammed VI en juillet 2024 par le président français Emmanuel Macron, affirmant que la France «considère que le présent et l’avenir du Sahara occidental s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine».
Quel enseignement pour les Européens? Les États membres avaient déjà vécu le précédent espagnol, en 2022; la colère d’Alger s’abattant sur Madrid en réaction à la décision du gouvernement de Pedro Sanchez de mettre fin à la neutralité de l’Espagne sur le Sahara, et de soutenir le plan d’autonomie du Maroc. Le régime algérien avait enclenché, en réaction, la suspension d’un traité d’amitié et de bon voisinage signé vingt ans plus tôt, et donné instruction aux établissements financiers et bancaires de stopper les transactions entre les deux pays... Dix-huit mois de blocus économique quasi total – l’approvisionnement en gaz ayant été partiellement sauvegardé – avant qu’Alger, opérant une volte-face maquillée de l’argument fallacieux d’un revirement diplomatique de l’Espagne, ne procède à la nomination d’un nouvel ambassadeur à Madrid, et que la Banque d’Algérie, par un feu vert donné aux banques locales, ne débloque les échanges commerciaux. Les relations politiques ont, depuis, repris de plus belle, dopées d’ailleurs ces derniers mois dans une sorte de chantage fait aux Français.
Quel enseignement pour les Européens? C’est la fermeté – et la volonté politique –, de deux pays européens de maintenir, quoi qu’il en coûte, des relations historiques, géographiques, mais aussi stratégiques pour leurs intérêts nationaux, qui ont finalement payé et fait avancer la diplomatie régionale. Tandis que la Commission européenne – pourtant gardienne, en théorie, des intérêts des européens et des accords d’association conclus avec les pays tiers – s’est révélée incapable de défendre, face à Alger, ici les intérêts des Petites et Moyennes Entreprises espagnoles au temps du blocus, là un écrivain français arbitrairement emprisonné.
Quels enseignements pour l’Europe? Dans le virage pris par l’Algérie ces derniers jours, et la main tendue à l’Élysée, une phrase du président Tebboune doit retenir l’attention: «La France n’a jamais caché son amitié pour le Maroc, et cela ne nous dérange pas; ce sont deux relations verticales», précisant par ailleurs que «la France a toujours été du côté du Maroc dans le dossier du Sahara occidental»… C’est la première fois qu’un dirigeant algérien affiche expressément une ligne disant, en substance, «eux c’est eux, nous c’est nous» pour «donner blanc-seing» aujourd’hui à la France, comme hier à l’Espagne, de mener deux diplomaties, l’une avec Rabat, en fidélité à la marocanité du Sahara, une autre avec Alger, pour maintenir et développer des relations politiques, économiques, culturelles privilégiées. Cette annonce, historique à l’échelle des relations bilatérales, invite les deux pays méditerranéens à porter cette «théorie des deux relations verticales» à Bruxelles, auprès des autres États membres. Pour la France, c’est même une double obligation – politique et morale: c’est, parmi les 27, le pays le plus proche de chacun des deux voisins maghrébins, qui se doit de rester fidèle à la promesse faite au Maroc à l’été 2024: «l’intangibilité de la position française sur cet enjeu de sécurité nationale pour le Royaume» et «agir en cohérence avec cette position à titre national et au niveau international».
Que cet enseignement infuse aussi au sein de la Commission européenne à l’heure où elle doit mener «deux relations verticales» et affronter le chantage d’Alger tant sur la renégociation de l’accord d’association UE-Algérie que sur les accords commerciaux entre le Maroc et l’Europe.
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