Il faut de tout pour faire de la politique

Karim Serraj.

ChroniqueDes espoirs placés en elle pour créer une gauche centriste crédible, à son déclin politique, Nabila Mounib a toujours cultivé un don pour la provocation et la désinvolture. Elle a encore fait parler d’elle cette semaine, en marge d’un meeting de son parti politique, le PSU.

Le 11/02/2024 à 10h59

La sortie saillante de Nabila Mounib sur l’Algérie et le Royaume laisse songeur. L’affaire s’est passée le dimanche 4 février, à Oujda, donc près de la frontière avec l’Algérie. À la fin d’un meeting du Parti socialiste unifié (PSU), celle qui fut secrétaire générale de cette formation politique de janvier 2012 à novembre 2023, a fait des déclarations surprenantes à la presse sur les relations avec notre voisin de l’Est.

Franchement, on a vu mieux. Tout le monde imagine l’exultation des médias et youtubeurs algériens qui passent leurs journées à surveiller le Maroc pour en dire du mal. C’est du pain béni. Une si «importante» personnalité politique marocaine qui affirme que les «Sionistes» sont responsables de la crise entre les deux pays a dû les faire sourire. Tout le monde sait que l’Algérie abrite depuis 1973 les mercenaires du Polisario et qu’elle cherche à nous délester d’une partie de notre territoire.

Il faut reconnaitre à notre Nabila Mounib un certain talent pour le populisme. À son heure de gloire, elle avait toutes ses chances pour se sublimer en une femme d’État. L’icône féminine tant attendue sur l’échiquier politique national aurait pu être incarnée par l’ex-secrétaire générale du PSU. Première femme à diriger un parti politique, elle fut surtout sollicitée en 2015 par le gouvernement Benkirane, et dit-on par le Palais, pour chapeauter la délégation qui négocia à Stockholm la position de la Suède sur le Sahara marocain. Elle avait réussi sa mission en convainquant ce pays -qui n’avait plus d’ambassadeur marocain depuis trois ans- de ne pas reconnaître le Polisario renégat. Deux jours après, la télévision nationale suédoise annonçait que son gouvernement soutenait l’autonomie élargie sous la tutelle effective de Rabat proposé par le Maroc à l’ONU. Un franc succès très applaudi à l’international pour cette gauchiste que la presse comparait alors à Tony Blair. Peu après, 100 personnalités marocaines, dont des intellectuels et des politiciens de centre et de gauche, avaient signé une tribune dans les médias pour la prier d’incarner la 3ème voie du changement, entre PAM et PJD se disputant alors le pouvoir exécutif. Le PSU, un outsider, avait alors le vent en poupe. Et Nabila Mounib avait rendez-vous avec l’Histoire.

Celle qui n’a jamais été tendre avec le Maroc, le Roi ou le capitalisme, a vécu de longues années en Algérie, du temps où son père était consul à Oran. C’est d’ailleurs lui qui l’initie au socialisme algérien, dès son enfance, en pleine ère Boumediene, et à ses 14 ans, mêlant figure paternelle et guide national, elle participe à l’euphorie politique ambiante.

Après le baccalauréat, la jeune femme rentre au Maroc pour suivre des études supérieures de biologie. Débute alors son militantisme avec l’UNEM (Union nationale des étudiants du Maroc) dans les enceintes des amphis et des campus universitaires. C’est de cette organisation estudiantine, portée jadis par l’intelligentsia de gauche, que naît la Nabila Mounib politicienne, limée aux affrontements de rue avec le pouvoir, aux premières armes dans les slogans communistes soviétiques. Elle est proche à l’époque du mouvement clandestin du 23 mars, qu’elle rejoint officiellement à sa légalisation en 1983 sous l’appellation Organisation de l’action démocratique populaire (OADP), fondée par feu Mohamed Bensaïd Aït Idder, décédé il y a quelques jours.

Enfin, en 2005, l’OADP fusionne avec d’autres mouvements maoïstes, nasséristes ou trotskystes pour créer le Parti socialiste unifié, dont elle fut capitaine de vaisseau pendant 12 ans.

Un peu soixante-huitarde figée, un peu marxiste-léniniste d’un autre temps, Nabila Mounib s’est fait connaître par des coups d’éclats tonitruants et populistes. Le grand public l’a réellement découverte en 2011, dans des photographies où elle posait avec les mouvements de contestation du 20 février.

Puis commença l’opposition farouche à la tête du PSU, sans logique politique, faisant table rase de tout, elle tire sur tout ce qui bouge. Appels au boycott des élections, rejet de la nouvelle Constitution de 2011, politique de la chaise vide au Parlement, votes systématiques contre les propositions du gouvernement, relais de thèses complotistes dans les médias… la méthode Mounib a finalement relégué son parti dans les oubliettes du 21ème siècle. Car le PSU, en déclin, n’a jamais vraiment pesé dans l’échiquier. Malgré, dirais-je, les idéologies centriste et de gauche nécessaires à toute vie politique et qui ne furent jamais bien régurgités par cette formation. D’un autre âge, où le compromis est une trahison, l’extrémisme une valeur, cette dernière n’a pas su s’adapter au Maroc moderne et aux exigences de la politique d’aujourd’hui. Les années où Nabila Mounib a tenu les rênes du PSU n’y auront rien changé. Elle aurait pu réussir... La vie politique est désormais derrière elle.

À Oujda, ce dérapage verbal sur l’Algérie a fait jaser. Un homme ou une femme politique ne peuvent ainsi donner libre cours à leur élucubration. Les personnalités d’État, rares et précieuses, demeurent même durant leur carrière à l’écart de la cacophonie sociale. Elles fuient les feux du projecteur comme le diable.

Mais, comme dit le dicton: «Chacune des mains d’un politicien ignore ce que serre l’autre».

Par Karim Serraj
Le 11/02/2024 à 10h59