Benkirane le dinosaure, Akhannouch la baleine

Karim Serraj.

ChroniqueLa politique et l’honneur ne font pas toujours bon ménage. Le PJD d’Abdelilah Benkirane s’est exprimé, lors d’une rencontre organisée par une fondation à Salé, sur les causes et les responsables politiques de la pénurie d’eau au Maroc. Désignant un coupable tout trouvé, le parti de la lampe tombe, de plus en plus, dans le burlesque.

Le 21/01/2024 à 11h07

Le chef indéboulonnable du Parti de la justice et du développement (PJD) a la langue bien pendue; l’homme s’est distingué il y a quelques jours lorsque son parti s’en est pris violemment à son ennemi politique préféré, le RNIste Aziz Akhannouch. Ce dernier est nommément accusé d’être responsable de la sécheresse et du stress hydrique du Royaume. Oui, vous lisez bien… Un dard épique lancé par le dinosaure Benkirane dans le flanc d’Akhannouch, une métaphore qu’il faut retourner dans tous les sens, y chercher en vain un message subliminal ou un code secret basé sur H2O. Rien ne semble émaner de cette obscure griffe. Les voies d’Allah sont impénétrables.

Selon ces jérémiades, notre Premier ministre aurait vidé les barrages marocains alors qu’il était ministre de l’Agriculture en surexploitant leurs ressources. Dans le viseur, le plan Maroc Vert, une baleine qui aurait siphonné toutes les eaux des pluies, les nappes phréatiques et empêché les nuages lourds et noirs de se former dans notre ciel désespérément bleu.

Pourtant, le PJD a des comptes à rendre en matière de pénurie d’eau. Le parti de la lampe, à son âge d’or, a géré les affaires pendant deux gouvernements (2011-2021). Deux mandats chaotiques durant lesquels étaient prévus des projets structurels -jamais réalisés- pour enrayer la succession d’années de disette pluviale.

En 2009, la Stratégie de l’eau présentée devant Sa Majesté le Roi envisageait la construction de 57 grands barrages, dont 9 seulement ont été achevés par les gouvernements d’Abdelilah Benkirane et de son dauphin Saâd-Eddine El Otmani. De même, hormis celle d’Agadir arrachée de force, les stations de dessalement prévues n’ont jamais été érigées. On se souvient que c’est par un arbitrage royal, opposant le PJD au ministre de l’Agriculture de l’époque (Aziz Akhannouch), qu’Agadir a pu bénéficier de sa station, que les habitants et la tomate sont bien heureux de posséder aujourd’hui, car c’est elle, et rien d’autre, qui assure l’eau potable de la ville et celle de l’irrigation dans la région. On chuchote dans les couloirs du pouvoir que sans cette station dans le Sud, le prix des tomates allait se multiplier par dix, et le tourisme péricliter à cause du manque d’eau potable devenu incontrôlable.

Il en va aussi des autoroutes de l’eau si précieuses désormais, qui devaient interconnecter dès 2012 les bassins du Royaume. 500 millions de mètres cubes d’eau se déversaient chaque année dans la mer alors qu’une action gouvernementale de Benkirane pouvait inverser le scénario prévisible de stress hydrique.

En matière d’eau, Abdelilah Benkirane est demeuré aveugle sans jamais être touché par la lumière divine. C’est bien durant la décennie des mandats du PJD que devaient impérativement se faire les infrastructures essentielles. C’était une priorité. Pas pour le parti de la lampe qui a tergiversé et laissé les choses pourrir dangereusement jusqu’au collapse. Finalement, Benkirane n’a rien compris, il a loupé le coche, bien qu’il s’en défende âprement.

Un homme d’État l’est parce qu’il anticipe la réalité, et sent ce qui va advenir. C’est pourquoi les réformes stratégiques ne peuvent être accomplies par des technocrates, des parachutés, des jeunes débutant dans le pouvoir, des arrivistes politicards, des «sans flair». Le destin d’un pays peut, hélas, reposer sur les choix néfastes d’un Premier ministre non visionnaire, qui se cache ensuite dans des logorrhées fantasmatiques.

Tirant à boulets rouges sur l’actuel gouvernement, il omet le rôle passif de son parti durant la décennie de la semence, qui aurait été récoltée aujourd’hui par la nation, avec les honneurs et la reconnaissance de sa clairvoyance.

En vérité, prendre conscience du problème de l’eau au Maroc a commencé dès feu Hassan II avec la construction des barrages, mais également avec le prix international qui porte le nom du défunt monarque, le «Grand Prix mondial de l’Eau Roi Hassan II», qu’il avait lui-même initié avant son décès. Créé conjointement avec le Conseil mondial de l’eau, le prix est décerné tous les trois ans aux chercheurs du monde qui œuvrent à des solutions pour sauver l’humanité de ce qui l’attend inévitablement: un tarissement des ressources en eau. Après Dakar en 2022, le prix sera décerné pour la huitième fois lors du 10ème Forum mondial de l’eau, qui se tiendra à Bali, en Indonésie, en mai 2024.

Le PJD ne peut prétendre donner des conseils ou critiquer la conjoncture du pays. Benkirane et ses hommes sont restés les bras ballants durant la période où il fallait agir.

Nous assistons cette semaine à une opération de communication, au moment où la tension sociale sur l’eau se précise et va aller crescendo s’il ne pleut pas suffisamment. C’est aussi une stratégie de déplacement de la responsabilité politique et des choix faits jadis par le PJD. «Ce n’est pas nous, c’est Akhannouch», affirme ainsi la formation politique à référentiel islamique. Mais ses diatribes ne peuvent changer l’Histoire.

À l’échec de la création d’emplois, et d’autres revers connus des deux mandats du PJD, on ajoutera aussi le stress hydrique.

De sa résidence où il reçoit journalistes et hommes politiques, Benkirane ressasse le passé et refait le monde, devenu un homme triste et acariâtre, assistant impuissant à la ruine de son parti. Cette formation contre nature ne sait plus à quel saint se vouer. Elle vit une débandade avancée de ses militants privés de girouette.

Le PJD n’a pas organisé de congrès ordinaire depuis décembre 2017. Cette mi-janvier, El Otmani a cependant annoncé le retour de la bête politique pour son 9ème congrès en 2025, un rendez-vous crucial présenté par le secrétariat national comme celui des orientations futures, du «renouveau» pour redynamiser la base. Les observateurs évoquent plutôt une «résurrection» des anciens et une crise dans la relève. Dans tous les cas, on entendra encore parler de Benkirane qui refuse de prendre sa retraite. Certaines mauvaises langues affirment qu’il rêve de retrouver la place centrale qui était la sienne.

Par Karim Serraj
Le 21/01/2024 à 11h07