Génocide du Rwanda, trente ans plus tard

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueTrente ans après le génocide du Rwanda, où en est l’état des connaissances? Que s’est-il passé entre le 6 avril 1994 et la mi-juillet 1994, c’est-à dire durant les presque quatre mois pendant lesquels fut commis le génocide?

Le 02/04/2024 à 12h01

Le 6 avril 1994, en abattant l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, des terroristes à ce jour non officiellement identifiés ont déclenché le «génocide du Rwanda», ou «génocide des Tutsis du Rwanda». Trente ans plus tard, où en est l’état des connaissances? Que s’est-il passé entre le 6 avril 1994 et la mi-juillet 1994, c’est-à-dire durant les presque quatre mois pendant lesquels fut commis le génocide? Rappel des faits.

1- Le 6 avril 1994, vers 20h30, alors qu’il allait atterrir à Kigali, l’avion présidentiel rwandais fut abattu. Trouvèrent la mort dans cet acte de terrorisme commis en temps de paix, deux chefs d’État en exercice, les présidents Juvénal Habyarimana du Rwanda et Cyprien Ntaryamira du Burundi. Parmi les victimes se trouvaient également le chef d’état-major des Forces armées rwandaises (FAR), le général Deogratias Nsabimana, et l’équipage français civil de l’avion.

2- Dans la nuit du 6 au 7 avril, l’Armée patriotique rwandaise (APR), la force militaire du Front patriotique rwandais (FPR) rompit unilatéralement le cessez-le-feu en vigueur depuis la signature des accords de paix d’Arusha, et entama la conquête du Rwanda à partir de ses bases situées dans le nord du pays, adossées à la frontière ougandaise.

Selon le capitaine sénégalais Amadou Deme, ex-officier de renseignement de la MINUAR (Mission des Nations unies pour le Rwanda): «La progression (du FPR) était rapide et cela prouvait qu’une opération planifiée avait déjà été fomentée avant l’abattage de l’avion. Le FPR avait tout planifié et était prêt depuis longtemps à reprendre la guerre».

Face à l’offensive du FPR, les FAR étaient paralysées par l’embargo sur les armes alors que, tout au contraire, l’APR ne souffrait d’aucune restriction de ses approvisionnements qui lui parvenaient depuis l’Ouganda.

3- Au lieu de s’interposer avec les 2.539 hommes et les blindés dont il disposait, le général canadien Dallaire, chef de la mission militaire de l’ONU, fit au contraire replier ces derniers dans leurs cantonnements. L’aéroport dont l’ONU avait la garde fut ainsi abandonné, ainsi que la route y menant, ce qui permit à l’APR de développer sa manœuvre.

4- À Paris, dans la soirée du 6 avril, dès l’annonce de l’attentat qui venait de coûter la vie au président Habyarimana, l’état-major des armées décida la mise en alerte des forces prépositionnées en Afrique centrale et de certains éléments spécialisés.

5- Le 8 avril à 22 heures, un communiqué du ministère français des Affaires étrangères indiqua que: «(…) devant les risques que présente la situation au Rwanda, des dispositions sont prises pour procéder à l’évacuation de nos ressortissants».

Moins de deux heures plus tard, l’Opération Amaryllis fut déclenchée. Ses objectifs étaient définis par un ordre de Mission diffusé le 8 avril à 23h 30:

«(…) Tenir et contrôler les installations de l’aéroport international de Kigali pour le 9 avril en fin de matinée; être en mesure, si les circonstances le permettent, de procéder dans un premier temps à l’évacuation d’une soixantaine de passagers dont le choix et l’acheminement jusqu’à l’aéroport relèvent de l’Ambassadeur de France (…) le détachement français adoptera une attitude discrète et un comportement neutre vis-à-vis des différentes factions rwandaises».

6- Le 9 avril, entre 01h 27 et 01h 29, quatre avions français déposèrent 151 hommes sur la piste de l’aéroport de Kigali. L’Opération Amaryllis entra alors dans sa phase active. À 17 heures un premier avion C130 décolla avec à son bord cinquante-cinq personnes, dont quarante-trois ressortissants français et douze membres de la famille Habyarimana, notamment la veuve du Président.

7- Le 14 avril, l’ordre d’évacuation final fut donné aux forces françaises.

8- Du mois d’avril au mois de juin 1994, le Rwanda connut un génocide doublé d’une guerre atroce. D’immenses tueries se déroulèrent alors dans le pays, le génocide des Tutsis étant doublé d’un massacre de masse des Hutus par l’APR.

9- Le 22 juin, face au drame, et comme la communauté internationale se montrait impuissante, le Conseil de sécurité des Nations unies adopta la Résolution 929 qui, pendant deux mois, autorisa la France à «employer tous les moyens» pour protéger les populations. Ce fut l’opération Turquoise qui débuta le 23 juin. Le 5 juillet, l’armée française créa dans le sud-ouest du Rwanda, une Zone humanitaire sûre, cependant qu’au nord, un flot ininterrompu de réfugiés hutus s’écoulait en territoire zaïrois, où de gigantesques camps surgirent de terre.

10- Pendant que l’opération Turquoise se déroulait, la guerre continuait entre l’APR et ce qui restait des FAR. Le 4 juillet 1994, à Kigali, les dernières poches de résistance de ces dernières furent réduites et le 14 juillet, la ville de Ruhengeri passa sous le contrôle de l’APR. Le 17 juillet, ce fut le tour de Gisenyi, et le 18 juillet, des milliers de soldats des FAR se réfugièrent au Zaïre. Le 19 juillet, le FPR décida unilatéralement l’arrêt des combats.

11- Le 21 août 1994, leur mission terminée, les forces de Turquoise quittèrent le Rwanda, conformément au mandat de l’ONU.

Le génocide avait fait plusieurs centaines de milliers de morts et provoqué l’exode de plusieurs millions de Hutus qui ne commencèrent à regagner le Rwanda que durant la fin de l’année 1994.

Par Bernard Lugan
Le 02/04/2024 à 12h01