Tchad: le clan Déby menacé?

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueLa mort de Yaya Dillo, opposant politique de premier plan au général Mahamat Idriss Déby Itno, est présentée comme une conséquence de la compétition aux prochaines élections présidentielles. Or, le fond du problème n’est pas là. Il est que les Zaghawa, qui étaient au pouvoir avec Idriss Déby Itno, ne se reconnaissent pas dans son fils Mahamat Idriss Déby qui n’est qu’à moitié Zaghawa, puisque sa mère est Gorane. De plus, il a épousé une Gorane. Et pas n’importe quelle Gorane!

Le 05/03/2024 à 11h01

Le 28 février dernier, à N’Djamena, le Zaghawa Yaya Dillo, cousin et opposant de l’actuel président de transition, le général Mahamat Idriss Déby Itno, fils d’Idriss Déby Itno, a été tué dans des circonstances plus que confuses par les forces de sécurité tchadiennes.

La presse a présenté la mort de Yaya Dillo, président du Parti socialiste sans frontières (PSF), un parti d’opposition, comme s’inscrivant dans la compétition ouverte au sein des élites dirigeantes tchadiennes dans l’optique des prochaines élections présidentielles du mois de mai 2024. Une mort qui devrait donc être vue comme l’élimination d’un opposant politique de premier plan au général Mahamat Idriss Déby Itno.

Or, le fond du problème n’est pas là. Il est que les Zaghawa, qui étaient au pouvoir avec Idriss Déby Itno, ne se reconnaissent pas dans son fils Mahamat Idriss Déby qui n’est qu’à moitié Zaghawa, puisque sa mère est Gorane. De plus, il a épousé une Gorane. Et pas n’importe quelle Gorane, mais Zineb Goukouni Oueddei, la plus jeune fille de l’ancien président tchadien Goukouni Weddeye, lui-même fils du Derdéi, le chef spirituel des Toubou du Tibesti.

Gorane est un nom arabe pour désigner les Toubou qui connaissent deux grandes composantes, ceux du Tibesti et ceux du Kanem-Borkou.

Dans les années 1970, les deux composantes toubou s’opposèrent dans une lutte fratricide. L’une, celle du Tibesti, était dirigée par Goukouni Weddeye, l’autre, par Hissène Habré.

En 1979, Goukouni Weddeye remporta la première manche avec l’aide du colonel Kadhafi, et Hissène Habré fut contraint de se retirer dans l’est du Tchad, chez les Zaghawa, ethnie vivant à cheval sur la frontière Tchad-Soudan. Puis, le 17 juin 1982, Hissène Habré prit N’Djamena et les forces armées libyennes intervinrent pour sauver Goukouni Weddeye. En réaction, la France déclencha l’Opération Manta afin d’interdire aux Libyens de franchir le 16ème parallèle.

Puis, menés par Idriss Déby Itno, au mois de novembre 1990, les Zaghawa prirent N’Djamena et Hissène Habré fut chassé du pouvoir.

Le 20 avril 2021, Idriss Déby Itno fut tué au combat contre des rebelles et son fils, le général Mahamat Idriss Déby Itno, lui succéda, ce qui provoqua la méfiance de certains Zaghawa, considérant qu’il n’est qu’en partie des leurs et que son tropisme gorane allait les marginaliser.

Zaghawa, Toubou du Tibesti (les Teda), Toubou de l’Ennedi-Oum Chalouba (les Daza-Gorane) et Arabes du Ouadaï sont divisés en une multitude de sous-groupes. Tous additionnés, ils totalisent moins d’un quart de la population du Tchad. C’est pourtant autour de leurs rapports internes de longue durée, de leurs alliances, de leurs ruptures et de leurs réconciliations plus ou moins éphémères que s’écrit l’histoire du pays depuis l’indépendance. C’est autour d’eux que se sont faites toutes les guerres du Tchad depuis 1963. C’est de leurs relations que dépend le futur du pays, la majorité de la population n’étant que la spectatrice-victime de leurs déchirements.

Si, à la faveur de rivalités internes et de règlements de compte inter-tribaux, les fractions ou les sous-fractions de l’ancienne coalition ethno-clanique constituée autour d’Idriss Déby s’opposaient, le régime de son fils serait alors extrêmement fragilisé.

Par Bernard Lugan
Le 05/03/2024 à 11h01