L’ethno-politique du Tchad

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueAujourd’hui, trois grands problèmes conditionnent la stabilité de la sous-région, celui du pouvoir à N’Djamena, celui de la question du Darfour, qui n’est pas réglée, et celui de la contagion libyenne, car les Toubou sont à cheval sur les deux pays.

Le 14/11/2023 à 10h59

Le 11 août 1960, le Tchad accéda à l’indépendance sous la direction de François Tombalbaye, un Sara originaire du sud du pays. Il écarta des postes stratégiques les hommes du Nord, réalisant ainsi la revanche des Noirs sédentaires du sud sur les nomades «blancs» du BET (Borkou, Ennedi, Tibesti). Ces derniers, pourtant fortement divisés, s’unirent alors à travers la problématique nord-sud qui est la clé de compréhension des problèmes tchadiens. Là encore, un retour en arrière est nécessaire.

Au Tchad, durant plusieurs décennies, deux conflits se déroulèrent parallèlement: une guerre Nord/Sud et un affrontement entre nordistes. À partir des années 1980, une fois les sudistes vaincus, l’imbroglio tchadien s’expliqua par les fractures internes aux populations du Nord. Désormais, la clé de compréhension de la question tchadienne fut la rivalité les opposant, la vie politique tchadienne étant en quelque sorte confisquée par environ 10% de la population gérant l’ensemble du pays au gré de ses intérêts claniques et familiaux.

Deux grandes phases peuvent être distinguées:

1- Entre 1979 et 1990, sous Goukouni Weddeye, puis sous Hissène Habré, les guerres du Tchad furent d’abord un conflit inter Toubou, entre les Toubou du Tibesti (ou Tomagra), dirigés par Goukouni Weddeye d’une part, et les Toubou d’Oum Chalouba (ou Anakaza), qui suivaient Hissène Habré, d’autre part. Puis, en 1990, ce dernier fut renversé par Idriss Déby Itno, lui aussi nordiste, mais Zaghawa et non plus Toubou.

2- Sous Idriss Déby Itno le cœur du conflit pour le pouvoir se déplaça vers le nord-est, sans quitter pour autant la même aire géographique et culturelle du Borkou-Ennedi-Tibesti, mais tout en se réduisant encore et toujours plus, et cela tant au point de vue géographique qu’humain. Les Zaghawa qui, avec Idriss Déby, contrôlaient le pays ne totalisaient en effet que moins de 3% d’une population tchadienne estimée alors à plus ou moins 10 millions de personnes.

À partir de 2003, le président Déby se trouva pris dans l’engrenage du conflit du Darfour, quand les rebelles soudanais, de l’ALS (Armée de libération du Soudan) et du MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité), eurent fait de l’est du Tchad et notamment du homeland des Zaghawa tchadiens, leur base arrière.

Comme il ne contrôlait pas les siens, le pouvoir de Khartoum soupçonna alors le président Déby de jouer un double jeu. En représailles, il intégra des éléments de l’opposition tchadienne au sein des milices Janjawid, dont des Tama, ennemis traditionnels des Zaghawa. Idriss Déby répliqua en soutenant clairement les insurgés du Darfour, qui attaquèrent alors les sanctuaires soudanais de ses propres opposants. Khartoum réagit à son tour en armant encore davantage les opposants tchadiens. Puis, de guerre lasse, le Tchad et le Soudan conclurent la paix.

Aujourd’hui, trois grands problèmes se posent qui conditionnent la stabilité de la sous-région, celui du pouvoir à N’Djamena, celui de la question du Darfour qui n’est pas réglée, et celui de la contagion libyenne, car les Toubou sont à cheval sur les deux pays. Sans oublier naturellement un fait nouveau qui est la guerre civile du Soudan qui peut à tout moment embraser de nouveau le Darfour et déborder sur les pays voisins, dont le Tchad.

Par Bernard Lugan
Le 14/11/2023 à 10h59