Aux sources du «Mal algérien»

Bernard Lugan.

Bernard Lugan.

ChroniqueCe livre finement documenté, écrit par deux économistes en poste en Algérie durant plusieurs années, met en évidence les racines de ce qu’ils définissent comme le «mal algérien». Un livre qui devrait être lu et relu par tous ceux qui continuent à avoir les «yeux de Chimène» pour l’Algérie et sa «révolution». A commencer par Emmanuel Macron…

Le 17/10/2023 à 11h01

Dans «Le mal algérien» (Collection Bouquins), publié au mois de juin 2023 et disponible à la Librairie Anfa à Casablanca, Jean-Louis Levet et Paul Tolila ne se contentent pas de brosser un impitoyable tableau de la prédation exercée par les dirigeants algériens depuis 1962. Ils l’inscrivent dans le cadre d’une histoire fabriquée destinée à légitimer la mise en coupe réglée du pays par cette curieuse «alliance des coffre-forts et des baïonnettes» formant le «Système» algérien.

Ce livre finement documenté, écrit par deux économistes en poste en Algérie durant plusieurs années, met en évidence les racines de ce qu’ils définissent comme le «mal algérien». Un livre qui devrait être lu et relu par tous ceux qui continuent à avoir les «yeux de Chimène» pour l’Algérie et sa «révolution». Un livre qui devrait également être la bible de cette gauche française qui porte un regard négatif sur le Maroc, mais qui met genou à terre dès qu’elle parle de l’Algérie… À commencer par Emmanuel Macron, qui a justifié par avance toutes les exigences algériennes de «réparation» quand, d’une manière totalement irresponsable, et de plus à Alger, il a parlé de la colonisation comme d’un «crime contre l’humanité». En effet, comme l’écrivent les auteurs :

«Depuis que les mots de ”crime contre l’humanité” ont été prononcés (par Emmanuel Macron) pour qualifier la colonisation, les autorités algériennes ont la capacité de nous placer dans la position d’éternels coupables puisqu’il s’agit du seul crime imprescriptible» (p.348).

Une situation joliment résumée d’une phrase par ces mêmes auteurs: «Demandez-nous le pardon… que nous ne vous accorderons jamais» (p.348).

Dans ce livre, nous suivons pas à pas la construction de la fausse histoire de l’Algérie, nous assistons au naufrage économique et social du pays dû à l’immense corruption-prédation opérée par les profiteurs de l’indépendance. Nous restons sidérés par l’ampleur des règlements de comptes entre les clans maffieux qui se partagent le pouvoir.

Mohamed Harbi a écrit que «l’histoire est l’enfer et le paradis des Algériens». «Enfer» en effet, parce que l’histoire est une manipulation des faits reposant sur un complexe existentiel rendant difficile toute analyse rationnelle.

«Paradis», parce que pour oublier cet «Enfer», les dirigeants algériens vivent dans une histoire fabriquée à laquelle ils font semblant de croire à travers une «incantation épique permanente» destinée à «protéger le système algérien et les intérêts de la nomenklatura qui en profitent» (p.14). Le tout avec la «complaisance dont elle bénéficie en France» tant par la gauche médiatique que par les mouvements dits «indigénistes» ou «décoloniaux».

Comme l’écrivent encore les auteurs:

«L’aiguille historique de l’Algérie semble bloquée sur sa guerre d’indépendance qui occupe une place et un statut officiels pour l’État algérien qui revendique ouvertement le monopole de sa narration officielle; elle n’est en aucun cas un objet d’investigations libres pour les historiens» (p.14).

D’où l’impossibilité de la réviser, car il s’agit d’un dogme. Dans ces conditions, on comprend donc que le «travail de mémoire commun» si cher à la France n’est qu’une farce, car si Paris ouvre largement ses archives, Alger ferme les siennes... Quant à Abdelmadjid Chikhi, le pendant algérien de Benjamin Stora, selon Jean-Louis Levet et Paul Tolila, il se «comporte comme un procureur militant et non comme un historien» (p. 350).

L’histoire est donc au cœur du «mal algérien», car elle occulte ce qui s’est passé durant la guerre, avec notamment l’assassinat d’Abane Ramdane, le piège tendu à Amirouche, et surtout, le coup d’État de 1962, quand l’armée des frontières dont les chefs n’avaient jamais tiré un coup de feu renversa le GPRA et écrasa la résistance des maquisards. Matrice du «Système» qui fit et qui fera tout pour se maintenir au pouvoir, l’histoire officielle ne pourra donc être remise en question tant qu’il dirigera l’Algérie.

Un «Système» qui n’a pas craint d’user du grotesque pour survivre. Ainsi, quand, victime d’un AVC, et incapable d’exercer ses fonctions le président Bouteflika était représenté lors des cérémonies officielles par son portrait…

Le livre montre que ceux qui jouissent directement ou indirectement de la corruption sont les bénéficiaires du ministère des Moudjahidine et tous les membres de ce qu’on appelle là-bas la «famille révolutionnaire», intégrée notamment dans l’ONM (Organisation nationale des moudjahidine), ainsi que leurs descendants. Or, selon l’ancien ministre algérien Abdeslam Ali Rachidi, «tout le monde sait que 90% des anciens combattants, les moudjahidine, sont des faux» (El Watan, 12 décembre 2015).

De longs développements sont également consacrés aux règlements de comptes au sein de l’armée -ce que j’ai baptisé l’«odjak des janissaires»-, à travers des condamnations qui sont d’abord des gages donnés à la rue.

Depuis la mort du général Gaïd Salah, purges et règlements de comptes s’abattent ainsi sur les proches de celui qui était surnommé le «Glouton» et qui était connu comme l’un des officiers les plus corrompus de l’armée. L’actuelle manœuvre épuratrice est dirigée par le nouveau chef d’état-major, le général Saïd Chengriha. Ce dernier a fait destituer et passer en justice cent cinquante officiers, dont plusieurs généraux, ainsi que des dizaines de hauts fonctionnaires et de ministres. Mais, comme certains l’accusent d’avoir plus que trempé dans les trafics, les jours seront difficiles pour les siens quand il aura été rappelé à Dieu…

Par Bernard Lugan
Le 17/10/2023 à 11h01