L’ambassadeur Christophe Lecourtier, qui animait, vendredi 16 février, une conférence-débat sur les relations franco-marocaines à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales (FSJES) de Aïn Chock (Casablanca), a mis en avant la volonté de son pays de renforcer son partenariat avec le Royaume, affirmant que Paris dispose de «la capacité d’être un allié et un partenaire utile, sans exclusive, ni monopole».
Une relation unique, charnelle et ancienne
«La relation entre le Maroc et la France est unique, parce qu’elle est charnelle. Et parce qu’elle est charnelle, elle est difficile à délier, comme un ADN qu’on ne peut pas dissocier pour en faire deux personnes différentes. Mais en même temps, rien ne serait plus arrogant que de dire que, parce qu’elle est unique, parce qu’elle est charnelle, parce qu’elle est ancienne, tout va de soi et tout va forcément se rétablir tout seul dans le meilleur des mondes. Je reprends tout à fait à mon compte et je ne conteste pas le fait qu’il puisse y avoir, sinon une crise, du moins une période dont nous ne pouvons pas nous satisfaire et qui appelle une remédiation.»
Position de la France sur le Sahara
«Nous avons conscience de l’importance de ce sujet pour le Maroc. Nous avons conscience des évolutions du monde, et dans le dialogue que nous avons avec le Maroc, bien entendu, cette question, comme elle l’a été depuis 2007, sera forcément évoquée dans la logique de poursuivre l’intimité et le partenariat dans les années et les dizaines d’années à venir.
Comment voulez-vous qu’on puisse prétendre avoir les ambitions que je viens de décrire sans prendre en compte les préoccupations majeures du Royaume sur la question dont vous avez parlé? Il serait totalement illusoire, irrespectueux et stupide de considérer qu’on va construire ce que j’espère qu’on arrivera à construire, brique après brique, pour le bonheur de nos deux nations et quelques autres voisins, sans clarifier ce sujet, dont tout le monde à Paris connait et reconnait le caractère essentiel pour le Royaume, hier, aujourd’hui et demain.»
«Nous avons gardé des lunettes dont les verres ne sont plus adaptés à la réalité du Maroc»
«On parle beaucoup de réchauffement, de retrouvailles. Je souscris tout à fait à ces termes-là, mais ce n’est évidemment pas une réconciliation pour une belle photo, pour Paris Match, pour une sorte de chronique mondaine où on se retrouverait, où on s’embrasserait, où on se dirait que tout cela était passager et qu’on repartirait comme avant. D’ailleurs, qu’est-ce que c’est l’avant? On ne va pas parvenir à l’époque de Jacques Chirac? C’était sûrement une belle époque. Enfin, ça commence à dater... Pour revenir à l’époque de Nicolas Sarkozy? Là aussi, ça fait quand même assez longtemps. C’est illusoire. Et si nous voulons ce qui est vraiment le cœur de ma mission, mais aussi ce que souhaitent mes autorités, je crois, ici aussi au Maroc, si nous voulons être utiles, nous devons, et je pèse les mots, essayer de renouveler la relation.
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“Essayer”, parce que rien n’est jamais acquis, “renouveler”, parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, et “la relation”, c’est évidemment le cœur de tout. Et en partant du principe tout à fait simple, mais qu’il vaut mieux redire à chaque fois: nous nous connaissons moins, ou, en tout cas, nous, les Français, nous avons peut-être perdu un peu la connaissance, l’intimité avec le Maroc. La deuxième chose, qui découle de la première, c’est que ce pays a changé en bien des aspects, et pour le mieux, et que parfois, nous n’avons pas su mettre nos montres à l’heure et nous avons gardé des lunettes dont les verres ne sont plus adaptés à la réalité du Maroc.»
Les restrictions sur les visas, une mauvaise décision
«En 2023, lors de la conférence annuelle au cours de laquelle le Président de la République française réunit tous les ambassadeurs et tous les corps constitués de la République, il a clairement dit que c’était une mauvaise décision, qu’elle nous avait éloignés de nos amis, qu’elle avait abîmé notre image. Je l’ai dit d’ailleurs ici, à la radio, en citant ni plus ni moins que les propos publics qu’il avait tenus en 2023.
La question des visas a été très largement résolue l’année dernière. Quand je suis arrivé, j’ai eu des instructions très claires. Nous sommes sortis de la triste époque des limitations et des quotas. Nous avons pu donner à nouveau 100.000 visas de plus, soit une augmentation de 70% par rapport à l’année passée. Nous refusons peut-être aujourd’hui une demande sur huit. Le visa, ce n’est pas automatique, ce n’est pas un ticket de métro et il faut évidemment remplir un certain nombre de conditions. Mais comme la plupart des personnes qui demandent des visas les remplissent, nous accordons les visas, et aujourd’hui, les limites que nous avons, ce ne sont pas des limites politiques, ce sont des limites qui tiennent à la capacité de nos équipes consulaires à traiter une demande qui est très forte. C’est pour cela que nous travaillons à améliorer encore l’efficacité de ce dispositif.»
2023, une année «pas si mauvaise»
«Je pense que 2023 n’a pas été une si mauvaise année que ça pour les relations franco-marocaines et que notre intimité humaine, assez unique, s’est renforcée dans bien des domaines. Certes, on n’a pas eu de visites présidentielles, on n’a pas eu beaucoup de visites officielles, etc. Mais si on regarde toute une série d’indicateurs qui prouvent la vitalité de cette relation, ils sont tous en hausse, dans des proportions considérables.»
Stéphane Séjourné «saura jouer un rôle important pour entretenir et développer cette relation»
«Il a déjà dit que le Président de la République lui a confié, parmi toutes les missions qui sont celles d’un ministre des Affaires étrangères, la mission d’écrire un nouveau chapitre. C’est ce qu’il a dit de la relation franco-marocaine. C’est quelqu’un que j’ai eu la chance de rencontrer à quelques reprises. Il est extrêmement jeune et moderne en ce sens et comprend bien quels sont les enjeux du monde, et je n’ai aucun doute qu’il saura jouer un rôle important dans les semaines et les mois qui viennent pour entretenir, développer cette relation dans la phase dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.»
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Samira Sitaïl, «la bonne personne au bon endroit»
«Je trouve que c’est vraiment quelqu’un de formidable. J’ai la chance de lui parler assez régulièrement, avant qu’elle parte et depuis qu’elle est à Paris. Elle me semble vraiment être la bonne personne au bon endroit. Il s’agit de mon appréciation de Français. Ce n’est pas à moi de juger et de désigner les ambassadeurs du Maroc, mais par sa personnalité, par ses contacts, par son dynamisme, je suis extrêmement heureux de l’avoir comme mon homologue et ma partenaire diplomatique à Paris. Je crois que nous formons une équipe qui va aider à faire naître ce nouvel agenda.»
Le Maroc, une destination privilégiée des Français
«Regardez le tourisme: le Maroc a connu en 2023 une performance assez remarquable, pas très loin de 15 millions de touristes. Là-dedans, il y a 5 millions de Français. Vous allez me dire “il y a des Franco-Marocains”, mais il y a des Français aussi. Nous sommes plus d’un tiers des touristes qu’accueille le Royaume. Tous les murs des métros de Paris étaient couverts, il y a quelques semaines encore, d’affiches et il n’y a pas d’autres pays au Sud où les Français aient envie d’aller.»