Au Maroc, prenons-nous au sérieux la guerre cognitive?

Rachid Achachi.

ChroniqueLa guerre cognitive et informationnelle s’avère souvent plus importante du point de vue stratégique que ne l’est la dimension militaire stricto sensu. Car on peut très facilement gagner une guerre sur le champ de bataille, tout en la perdant sur le terrain de l’opinion publique. La guerre du Vietnam en est un parfait exemple.

Le 03/08/2023 à 11h00

A en croire les différents dictionnaires, la guerre serait une lutte ou une confrontation armée entre deux ou plusieurs Etats. Elle est régie par un ensemble de traités internationaux, qui visent à lui donner un caractère humain ou civilisé. L’oxymore pourrait en faire rire plus d’un, mais mon propos porte davantage sur la définition restrictive de ce mot.

Car depuis des décennies, plusieurs doctrines ont théorisé des changements profonds dans la nature même de la guerre. On parle désormais de guerre cognitive, hybride, psycho-informationnelle, économique, cybernétique...

Certes, la dimension armée demeure la plus pénible de toutes, autant pour les militaires que pour les civils, avec son lot de morts et de blessés. Mais la guerre cognitive et informationnelle s’avère souvent plus importante du point de vue stratégique que ne l’est la dimension militaire stricto sensu. Car on peut très facilement gagner une guerre sur le champ de bataille, tout en la perdant sur le terrain de l’opinion publique. La guerre du Vietnam en est un parfait exemple.

Au Maroc, prenons-nous au sérieux cette dimension éminemment stratégique? Par bien des aspects, la réponse est oui. Des efforts importants ont été réalisés sur le terrain médiatique et informationnel. Mais sur le terrain digital, beaucoup de choses restent à faire.

Dans cette perspective, disposer d’une armée digitale de trolls et de bots est désormais indispensable pour contrer la présence de parties hostiles sur les réseaux. Tous les pays ayant une politique extérieure autonome ou relativement autonome le font. Il n’y a donc pas de raison de ne pas le faire à notre tour.

Mais là où le bât blesse, c’est au niveau de la production de contenus et de data. Je parle ici, entre autres, des stocks d’images et de vidéos, à l’instar de Shutterstock, Envato, Pond5 et Freepik, à titre d’exemple.

Si l’exemple vous paraît trivial, détrompez-vous. Car toutes les présentations officielles dans le monde économique, celui des entreprises, mais aussi ceux culturel et politique, puisent leurs cartes sur ces sites. Et toute personne au Maroc travaillant dans l’infographie ou la communication sait à quel point il est quasiment impossible, ou du moins extrêmement compliqué, de trouver sur ces sites une carte du Maroc qui ne soit pas amputée de notre Sahara. Moi-même, il m’arrive de retravailler des cartes à l’aide de Photoshop pour restaurer visuellement notre intégrité territoriale.

Or, si nous Marocains sommes à juste titre pointilleux sur cette question, les millions d’entrepreneurs et usagers de ces sites de par le monde prennent les cartes qu’ils y trouvent comme étant une vérité et une norme, sans se poser la moindre question. Par conséquent, pas étonnant que des cartes amputées du Maroc se baladent tous les jours dans des millions de diapositives dans le monde.

La guerre des images ne fait certes souvent pas de morts, mais elle contribue à enraciner dans l’esprit de millions de personnes des contrevérités nuisibles à notre cause.

Que faire dans ce cas?

Premièrement, ces sites ne sont ni plus ni moins que des vitrines marchandes, qui mettent en vente des images réalisées par des infographistes professionnels ou par des amateurs avertis. Ce qui offre des possibilités aux Marocains d’investir ce champ en mettant massivement sur ces sites des cartes authentiques du Maroc. Cependant, on ne peut pas compter que sur des initiatives individuelles pour faire pencher sérieusement la balance en notre faveur. L’Etat doit sérieusement investir cette question et la percevoir du point de vue d’une guerre cognitive, qu’on n’a pas le droit de déserter.

Ce qui est valable pour ces sites l’est tout autant pour Wikipédia, ou encore ChatGPT, qui puise ses éléments de réponse dans la data disponible sur le web. Cette guerre de la data se joue ainsi sur une multitude de champs de bataille, dont celui de l’image, et d’un point de vue plus large, des contenus de toute sorte sur le net.

Quant à la dimension cognitive ou psycho-informationnelle, elle n’est ni plus ni moins que le produit d’un ensemble d’agencements intellectuels et émotionnels, réalisés à partir de la data disponible sur Internet.

Agissez sur la data, et vous agirez sur la structure mentale de ceux qui y puisent leur réflexion. Ignorez-la, et d’autres le feront à notre place.

Par Rachid Achachi
Le 03/08/2023 à 11h00