Maroc-France: après le bégaiement, l’affabulation?

Rachid Achachi.

ChroniquePour la Macronie, l’équation est simple. Si Alger veut feindre un revirement stratégique à travers une rupture avec Paris, quel meilleur moyen pour la ramener à la raison que de feindre à son tour un rapprochement avec le Maroc, en frappant là où ça fait mal?

Le 22/06/2023 à 11h36

Dans ma précédente chronique intitulée «Gérard Araud et le bégaiement de la diplomatie française», j’ai eu l’occasion d’analyser la tentative française de faire passer des messages au Maroc, par l’une des voies de la diplomatie parallèle. En l’occurrence, ce fut Gérard Araud qui se chargea de la tâche.

Désormais, vu l’évolution du contexte régional, Paris a décidé de franchir un nouveau cap, mais cette fois en passant par la médiation d’un journaliste, dont les proximités et connivences sont pour le moins suspectes.

Commençons par le contexte régional.

Deux évènements majeurs sont à retenir. Le premier a eu lieu le 24 mai dernier, un décret signé par le président algérien Abdelmadjid Tebboune a réintroduit un couplet citant, ou plutôt, menaçant la France, dans la version courte de l’hymne national. Car dans la version longue, il n’a jamais réellement disparu, puisque suivant la constitution algérienne, l’hymne national est immuable.

Un acte éminemment politique qui entend annoncer diplomatiquement la couleur, comme un préambule à la visite de Tebboune à Moscou quelques semaines plus tard, soit le 16 juin dernier.

Lors de sa rencontre avec le président russe Vladimir Poutine, Tebboune a réalisé une prestation rhétorique qui restera dans les annales, mais pas de la manière souhaitée par ce dernier. L’impression laissée par cette triste performance est celle d’un étudiant qui passe un entretien oral, en faisant de l’improvisation, car n’ayant rien préparé la veille. Trac, cafouillage, bricolage verbal, Tebboune semblait autant intimidé que non préparé.

Quoi qu’il en soit, la montagne a accouché d’une souris, puisque cette visite présentée comme grandiose par les médias du régime n’a abouti au final qu’au renouvellement d’une déclaration sur un partenariat stratégique approfondi, déjà signée en 2001 par l’ancien président Abdelaziz Bouteflika.

Mais l’objectif est atteint: envoyer un signal à la France, dont la finalité n’est au fond pas de rompre avec Paris au profit de Moscou, comme certains veulent bien le croire, mais de se refaire une beauté sur le marché de la séduction diplomatique, afin de mieux pouvoir négocier avec la France.

La France n’a pas réellement réagi de manière officielle, mais elle l’a fait par un coup de billard à trois bandes, en envoyant un nouveau signal au Maroc par la voie, ou la voix pour le coup, du journaliste Charles Villeneuve.

L’équation est simple. Si Alger veut feindre un revirement stratégique à travers une rupture avec Paris, quel meilleur moyen pour la ramener à la raison que de feindre à son tour un rapprochement avec le Maroc, en frappant là où ça fait mal?

Je fais ici référence aux déclarations de Villeneuve, qui annonça au micro d’Europe 1 que la Russie construirait une base militaire à Tindouf pour entraîner les mercenaires et narcotrafiquants du Polisario. Une info annoncée avec aplomb, mais qui demeure dénuée de tout fondement ou preuve. Mais plus c’est gros, plus ça passe comme dit l’adage.

Mais qui est Charles Villeneuve?

De son vrai nom Charles Leroy, Villeneuve est ou fut beaucoup de choses à la fois. Journaliste, producteur, auteur, ancien président éphémère du PSG, ce dernier a tout fait dans sa vie, sauf de la géopolitique. Mais il fait surtout partie d’une galaxie politique plutôt ancrée à droite, puisqu’il fut l’un des soutiens de la tentative de réélection de Nicolas Sarkozy. Il fit surtout partie de l’entourage de Sylvain Fort, ancien conseiller en communication d’Emmanuel Macron, et fut proche d’Étienne Mougeotte, mort en 2021, qui fut l’actionnaire principale du groupe propriétaire de Valeurs actuelles, plutôt classé à l’extrême droite. Enfin, pour couronner le tout, il conseilla, selon le journal Le Monde, Alexandre Benalla, ancien garde du corps en chef d’Emmanuel Macron, avant son audition devant le parlement suite au scandale qui lui a valu d’être écarté des cercles de décision.

En somme, il a le profil parfait pour servir de canal indirect de communication pour la Macronie.

L’État marocain n’a officiellement pas réagi à ces boniments, et à juste titre. Doit-on donc s’attendre à de nouvelles contorsions verbales indirectes en provenance du Quai d’Orsay? Ou bien la diplomatie française finira-t-elle par retrouver le sens de la parole en s’adressant directement et d’égal à égal au Maroc?

Le temps nous le dira…

Par Rachid Achachi
Le 22/06/2023 à 11h36