C’est la fin d’un long et, pour le coup, laborieux bras de fer mené par l’Algérie face à l’Espagne. Au bout du bout, une humiliante défaite du voisin qui s’est précipité pour en faire l’annonce, le jeudi 2 novembre, dans une tentative désespérée de maquiller son fiasco et faire passer la pilule. Mandaté par le régime d’Alger, dont il est devenu le communicant en chef à l’étranger, le plumitif espagnol Ignacio Cembrero a été le premier à tirer. Dans les colonnes d’El Confidencial, il nous apprend ainsi qu’un «pas a été franchi» sur le chemin de la réconciliation et que l’Algérie a décidé de «mettre fin à 19 mois de crise avec l’Espagne avec l’envoi prochain d’un nouvel ambassadeur à Madrid».
Lancée comme une sirène d’ouverture des vannes, l’information a été reprise le jour même par les médias algériens, parlant d’une imminente nomination, mais se gardant de donner un nom au futur ambassadeur. Ignacio Cembrero, légèrement en avance sur ses confrères algériens, a avancé celui d’Abdelfettah Daghmoum, ancien numéro 2 à l’ambassade d’Alger à Madrid.
Pour la partie ibérique, le retour à la normale est tout bénéfice. Il entraînera immanquablement la levée des restrictions imposées par Alger sur les exportations espagnoles, aujourd’hui quasi inexistantes. Le régime algérien avait, en effet, utilisé le chantage économique comme moyen de pression sur Madrid pour la porter à reconsidérer son appui à la marocanité du Sahara.
Tout ça… pour ça!, a-t-on envie de s’écrier. Car après près de deux ans de coups de sang, de réactions épidermiques et de «sanctions économiques», qu’est-ce qu’a obtenu le régime algérien? Nada. La si fastidieuse quête d’un changement espéré de la position espagnole sur son appui irréversible au Maroc, s’agissant de son Sahara occidental, s’est achevée dans un cul-de-sac.
Une position d’État et non de gouvernement
«Il a certes dû y avoir des petits arrangements sous la table, mais pas concernant le Sahara. L’Algérie a dû comprendre que la nouvelle position espagnole sur ce sujet est une décision d’État et non celle d’un parti politique au pouvoir. L’appui espagnol au Maroc est le fruit de longues tractations et d’une mûre réflexion en Espagne, incluant tous les (vrais) tenants du pouvoir, à savoir les services de renseignement et l’armée également. C’est donc loin d’être une simple manœuvre tactique», explique ce spécialiste de l’Espagne et des relations hispano-marocaines.
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Pour lui, et tactiquement justement, Alger s’est rendu compte qu’aucun changement à la tête de l’Exécutif espagnol n’était envisagé, et que Pedro Sanchez, patron du PSOE (Parti socialiste et ouvrier espagnol, qui mène la coalition au pouvoir) était assuré de rempiler au détriment du Parti populaire (PP, droite). «Quand bien même le PP prendrait les rênes du pouvoir, il est très peu probable qu’il opère, dans le fond, un changement de position sur le Sahara. Le discours peut être altéré, mais pas la décision, le PP devant en référer aux vrais auteurs de l’appui espagnol au Maroc», souligne notre interlocuteur.
On s’en souvient, si le pouvoir algérien s’est fâché contre Madrid, c’est parce que le voisin ibérique avait opéré, un certain 14 mars 2022 (déjà!), un revirement radical dans sa position sur le différend du Sahara, à l’avantage du Maroc. Après un long hiver dans les relations entre les deux royaumes, et dans une lettre adressée au roi Mohammed VI, le chef du gouvernement Pedro Sanchez portait un soutien ferme de l’État espagnol à la proposition d’autonomie des provinces sahariennes sous souveraineté marocaine. Il a qualifié le plan d’autonomie comme «la seule solution à la question du Sahara». En d’autres termes, il n’existe pas pour Madrid une autre solution au conflit du Sahara que l’autonomie, mise sur la table par Rabat en 2007. Ce qui revient de facto à reconnaître la souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental par l’ancienne puissance coloniale de ce territoire.
Un tournant historique qui a mis la junte dans tous ses états. Il faut dire qu’il ne lui en fallait pas beaucoup. Le 19 mars, Alger a rappelé son ambassadeur Saïd Moussi en guise de protestation. Dans la foulée, en juin 2022, le régime algérien a décidé la suspension «immédiate» du Traité d’amitié, de bon voisinage et de coopération conclu le 8 octobre 2002 avec le Royaume d’Espagne. «Les autorités espagnoles se sont engagées dans une campagne tendant à justifier la position qu’elles ont adoptée sur le Sahara occidental, en violation de leurs obligations juridique, morale et politique de puissance administrante du territoire qui pèsent sur le Royaume d’Espagne jusqu’à ce que la décolonisation du Sahara occidental soit déclarée accomplie par les Nations unies», s’était alors insurgée, dans un communiqué, la présidence de la République algérienne.
À la recherche du temps perdu
Entre temps, les relations entre le Maroc et l’Espagne ont évolué vers un niveau d’entente et de coopération jamais atteint auparavant. Solide, durable, tourné vers l’avenir, le partenariat entre les deux pays couvre tous les secteurs, du politique à l’économique, en passant par le sécuritaire. Sans oublier la culture et même le sport avec, en prime, une organisation conjointe, avec le Portugal, de la Coupe du monde de football de 2030. Durant tout ce temps, l’Algérie a mangé bien des chapeaux, avant de finir par avaler la couleuvre et se résoudre à son propre fiasco.
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«Peu après le déclenchement de la crise bilatérale, les autorités algériennes ont exigé, par la voix d’Amar Belani, son diplomate chargé de surveiller le conflit du Sahara (passé à la trappe depuis, NDLR), que pour revenir à la normale, le gouvernement espagnol fasse une déclaration précisant que les frontières internationalement reconnues du Maroc n’incluaient pas l’ancienne colonie espagnole. Elles n’ont pas atteint cet objectif», reconnaît Cembrero en conclusion de son «communiqué».
«Quand on enclenche une crise, comme l’a fait l’Algérie, il faut être en mesure d’en définir au préalable les sorties potentielles et les voies et moyens pour y parvenir. Primaire, la réaction algérienne a manqué de tout cela. C’était à la limite une saute d’humeur qui a eu de graves conséquences sur l’économie algérienne, dépendante de ses importations en tout, notamment de l’Espagne, des produits agricoles et agro-industriels aux matériaux de construction et bien d’autres», explique une source informée et au fait du dossier.
Prétextes fallacieux
On admirera au passage les prétextes distillés par la junte pour justifier un rétropédalage, devenu la marque de fabrique d’un «Système» à la politique irréfléchie. Dans les éléments de langage distribués à des médias inféodés, Alger invoque l’intervention, en septembre dernier, de Pedro Sanchez devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, et dans laquelle il a exprimé le soutien de son pays à la légalité internationale sur le Sahara. Or, factuellement, il a seulement réitéré l’exigence d’une solution politique au conflit.
«L’Espagne soutient la recherche d’une solution politique mutuellement acceptable pour les deux parties, dans le cadre de la Charte des Nations unies et des résolutions du Conseil de sécurité», avait-il déclaré, sans mentionner les deux parties en question, le Maroc et l’Algérie, et se gardant ne serait-ce que d’évoquer les termes «autodétermination» ou «référendum», si chers à la junte et ses protégés du Polisario.
«À l’ONU, il est tout à fait normal que le président espagnol tienne un langage onusien. Ce qui ne signifie à aucun moment une inflexion de la position espagnole sur le dossier du Sahara. Se cramponner à une déclaration du président de Sanchez pour justifier un rétropédalage est un bon indicateur de l’absence totale d’arguments du régime algérien pour justifier son rétropédalage», commente un diplomate étranger en poste à Rabat qui a requis l’anonymat.
Mais ce n’est pas tout. Le «Système» mentionne également la position de l’Espagne… en faveur de la création d’un État palestinien, dont Pedro Sanchez a défendu, le 16 octobre devant les leaders européens, la reconnaissance dans le cadre de la solution des deux États comme étant «l’unique façon» de résoudre le conflit de manière «définitive». Décidément, la cause palestinienne est cuisinée à toutes les sauces par la junte algérienne.
Plus sérieusement, cette inhabituelle accalmie algérienne, doublée du silence de la junte quant à la récente résolution du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Sahara, annonce-t-elle un changement de la politique étrangère algérienne et de ses paradigmes quant au dossier du Sahara? Le scénario optimiste, bien que très peu probable, veut que l’Algérie ait pris conscience que le dossier évolue résolument dans le sens de la position marocaine et sa proposition d’autonomie, analysait Saïd Khamri, professeur de sciences politiques à l’Université Hassan II de Mohammedia, pour Le360.
Cette année encore, 13 membres du CS ont voté pour la résolution, contre deux abstentions, celle de la Russie et du Mozambique. «De surcroît, les pays qui se sont abstenus n’ont pas agi contre les intérêts du Maroc. La tendance favorable à l’option marocaine est aussi large que fondamentale. Les plus grandes puissances soutiennent désormais ouvertement le Maroc et les reconnaissances de sa souveraineté sur le Sahara se multiplient. L’Algérie n’est pas sans le savoir et cela l’engage à changer de méthodologie et à revoir sa politique. Pour le meilleur ou pour le pire», expliquait le politologue. Un changement, sous la contrainte donc, de la politique d’hostilité criante de l’Algérie à l’intégrité territoriale du Maroc? L’espoir est permis. Le doute aussi.