Président sortant, Abdelmadjid Tebboune a donc été réélu avec 94,65% des voix pour un second mandat de cinq ans. «Circulez, il n’y a rien à voir», serait-on tenté de dire… Pas de surprise: c’était joué d’avance. Face à lui, deux candidats: Abdelali Cherif Hassani, un ingénieur de 57 ans, dirigeant du Mouvement de la société pour la paix (MSP, principal parti islamiste), et Youssef Aouchiche, ex-journaliste et sénateur, à la tête du Front des forces socialistes (FFS, fondé en 1963 par Hocine Aït Ahmed, l’un des leaders historiques de la lutte pour l’indépendance). Ils ont obtenu respectivement 3,17% et 2,16% des voix.
Ce scrutin est fortement problématique. Le président réélu et les deux candidats battus ont publié un communiqué commun dénonçant des «irrégularités et contradictions dans les résultats publiés par l’Autorité nationale indépendante pour les élections (ANIE,NDLR)». Ils y fustigent notamment le flou et «les contradictions des chiffres de participation». Voilà qui est inédit, grotesque même! Dans quel pays a-t-on vu un élu, à la tête d’un État au surplus, mettre en cause les chiffres et les résultats d’un scrutin donnés par une institution constitutionnelle, dite «indépendante», en charge du monitoring des élections? Que les deux candidats de l’opposition, qui avaient contesté les chiffres officiels dès leur proclamation, acceptent de cosigner avec le président réélu la sincérité des résultats prête à sourire. Il y a là une sorte de «made in Algeria» électoral et politique passablement confondant.
L’enjeu du scrutin présidentiel en Algérie était celui du taux de participation. Objectif: faire mieux qu’en 2019. Peine perdue: voilà le président sortant Abdelmadjid Tebboune qui ne fait pas mieux que lors de son premier mandat. Une hypothèque majeure pour les années à venir.
Il faut relever, pour commencer, le cafouillage intervenu le samedi 7 septembre dans l’annonce des résultats de participation des électeurs algériens. Dès les premières heures, la tendance relative à une faible mobilisation s’affirmait. Elle allait se poursuivre avec le pointage officiel fait à 17 heures, soit 24,46 %, loin des 33,06 % de décembre 2019. Le président de l’Autorité nationale indépendante pour les élections (ANIE), Mohamed Chorfi, donnait le chiffre de 5.142.000 votants. Sur cette base-là, il a été décidé de reporter la fermeture de l’ensemble des bureaux de vote jusqu’à 20 heures, dans l’espoir de faire grimper ce chiffre.
Dans la soirée de samedi, un premier communiqué de cette même instance annonçait un taux moyen de participation de 48,03 %. Deux interrogations se posent à cet égard. La première a trait à cette notion de «taux moyen»: que signifie-t-elle, en ce sens qu’elle est inédite et singulière dans le droit et la pratique électorale. C’est qu’en effet, la règle est simple: le pourcentage des votants est calculé sur la base des suffrages exprimés par rapport aux électeurs inscrits. Or, en l’espèce, que s’est-il passé? Réponse: un tour de passe-passe avec un chiffre faisant la moyenne des résultats enregistrés dans les 57 wilayas du pays. Une méthode pas significative du tout, parce qu’elle évacue les résultats dans chacune des collectivités territoriales calculés sur les bulletins de vote des citoyens. Dans 1′histoire électorale en Algérie et à l’international, jamais aucun régime n’avait recouru à une telle manipulation. L’autre interrogation regarde l’indétermination du chiffre total des votants. Cette donnée est disponible au niveau de l’ANIE, puisqu’elle a été utilisée pour comptabiliser le fameux «taux moyen», wilaya par wilaya. La difficulté qui s’est présentée alors était de doper le chiffre des votants vers 15H00 à un chiffre jugé à la fois «crédible» et favorable au pouvoir actuel. Comment, en effet, passer de 24,46% à 17 heures, à environ 40% -comme en 2019, et si possible à plus?
La comparaison avec le précédent scrutin présidentiel, tenu le 12 décembre 2019, est éclairante à maints égards. Ainsi, le corps électoral pose problème: il était de 24.464.161 électeurs inscrits en 2019, et a baissé de plus de 100.000 personnes aujourd’hui, à 24.351.551 électeurs. Comment expliquer cette situation dans un pays de 45 millions d’habitants? La progression démographique normale aurait dû donner près de deux millions d’inscrits supplémentaires. D’ailleurs, entre le scrutin présidentiel du 17 avril 2014 et celui du 12 décembre 2019, la hausse a été notable, avec un corps électoral évoluant de 22.880.678 à 24.464.161 électeurs. Que faut-il en déduire? Un abstentionnisme civique et politique de tous ceux qui rejettent le «système» de représentation actuel.
La référence aux suffrages exprimés est tout aussi significative et conforte cette interprétation: 11.600.984 en avril 2014, lors du quatrième mandat présidentiel de Bouteflika, 9.755.340 en décembre 2019 et 5.630.196 ce 7 septembre 2024. Qu’est-ce que cela veut dire? Que la base électorale s’est fortement contractée depuis dix ans et que la «légitimité» du président réélu reste fortement sujette à caution. La crédibilité du pouvoir des généraux est en cause avec un chef d’État encore plus mal élu encore par rapport à 2019, qui était pourtant une année particulière (Hirak, répression, etc.).
Son score digne des républiques bananières, avec 94,65% des voix, est l’illustration d’un pouvoir encalminé, en panne, rigidifié et incapable de se réformer. En limitant le scrutin à trois candidats, dont Tebboune, et en en rejetant treize autres pour toutes sortes de raisons, c’est un vote de fermeture et de verrouillage qui a été institué. Ce qui ne pouvait que se traduire par les résultats d’aujourd’hui. À titre comparatif, quatre candidats plus représentatifs avaient sollicité les urnes en 2019: Abdelkader Bengrina, chef du parti Al Binaa (17,37%), Ali Benflis, ancien Premier ministre (10,55%), Azzedine Mihoubi (7,28%) et Abdelaziz Belaïd (6,67%), pour un total de 41,67% des voix, face aux 58,13% de Tebboune.
Nul doute que les généraux, et à leur tête le Chef d’état-major des armées Saïd Chengriha, n’évacuent pas de telles données. Par défaut, pourrait-on dire, ils ont soutenu le président Tebboune. Mais ils n’ignorent certainement pas qu’il ne constitue qu’un cautère sur une jambe de bois. D’autant que la crise sociale et économique s’accentue et que l’Algérie pâtit d’un isolement de plus en plus prononcé à l’international…