Algérie: la junte impose des restrictions draconiennes aux voyageurs et interdit les chansons à rebours du narratif officiel

De jeunes Algériens portent des drapeaux nationaux et berbères ou amazighs durant une manifestation contre le président d'alors, Abdelaziz Bouteflika, dans la ville de Béjaïa, à quelque 220 km à l'est de la capitale Alger. Photo d'archive prise le 26 mars 2019.. AFP or licensors

L’enfermement. Telle est la sanction que le pouvoir politico-militaire algérien a imposée à tous les Algériens désireux de voyager hors du pays. Pour masquer ses failles sécuritaires, mises à nu au début de ce mois par la fuite d’Amira Bouraoui vers la Tunisie puis la France, la junte verrouille le pays, désormais transformé en vaste prison, où il est même interdit de chanter le mal-vivre quotidien des Algériens sous l’une des pires dictatures au monde.

Le 20/02/2023 à 12h49

L’Algérie n’est pas seulement le plus vaste pays d’Afrique. Elle est aussi la plus grande prison à travers le monde. En effet, les Algériens qui veulent voyager hors de leur pays sont désormais soumis à des conditions draconiennes de voyage, que l’on peut facilement assimiler à une interdiction généralisée de sortie du territoire national. Ces nouvelles restrictions ont fait l’objet d’un arrêté gouvernemental publié au Journal officiel de la RADP du 8 février courant (pages 18 à 20), et signé en priorité par le général-major Mohamed Salah Benbicha, secrétaire général du ministère de la Défense, puis par les seconds couteaux que sont les ministres de l’Intérieur Brahim Merad, de la Justice Abderrachid Tabi, des Finances Brahim Djamel Kassali, et des Transports Kamal Beldjoud.

Intitulé «Arrêté interministériel déterminant les données de réservation, d’enregistrement et d’embarquement des passagers ainsi que les modalités de leur transmission par les transporteurs et les opérateurs de voyages aériens», les signataires de ce texte tentent d’abord de faire croire qu’il n’a rien à voir avec l’affaire Amira Bouraoui. Il est ainsi faussement daté du 22 décembre 2022. Mais sachant que l’anticipation n’est pas le fort des autorités algériennes, sa publication dans la précipitation, soit 48 heures seulement après l’entrée d’Amira Bouraoui sur le territoire français dans la nuit du lundi 6 février, montre clairement la panique du régime algérien qui s’enferme de plus en plus dans les dérives ultra-sécuritaires.

Nouveau service

Désormais, toutes les données personnelles concernant les voyageurs quittant l’Algérie sont fournies par les transporteurs et les agences de voyages à un nouveau «service» relevant des renseignements algériens, dénommé «Unité nationale d’informations passagers» (UNIP).

L’article 2 de cet arrêté interministériel précise que les données transmises obligatoirement à l’UNIP concernent les «passagers qui s’apprêtent à quitter, à entrer et/ou à transiter via le territoire national, à bord d’un moyen de transport aérien». L’identité complète des passagers, leurs téléphone et mail, le nombre, contenu et poids exact de leurs bagages, le numéro de leur siège…, tout y passe.

Toutes ces informations doivent être transmises graduellement, via «un moyen électronique sécurisé» à l’UNIP, à partir «de 48 heures avant le vol» jusqu’à «au plus tard 30 mn après le décollage de l’aéronef» (article 7).

Même les noms de tous les membres du personnel navigant qui accompagne ces voyageurs doivent être notifiés à l’UNIP. Sûrement qu’il s’agit là d’une façon d’identifier d’éventuelles complicités au cas où un passager «recherché» réussit à se faire la belle. Il est à rappeler ici que 7 personnes sont actuellement en détention en Algérie pour leur implication présumée dans la fuite d’Amira Bouraoui vers la Tunisie.

Escalade sécuritaire et dictatoriale

Selon le quotidien français Le Monde, cette «escalade sécuritaire» de la junte algérienne montre que «c’est un régime qui est nettement plus autoritaire qu’avant. Il était autoritaire, mais avec des marges de manœuvre pour les libertés. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans une phase dictatoriale».

Même le ministère algérien de la Culture est mis à contribution dans cette dérive dictatoriale. L’une des pires au monde. Une insulte au XXIe siècle et qui met l’Algérie dans la même catégorie que les régimes répressifs avec lesquels elle entretient de bonnes relations, à l’instar de la Corée du Nord et de l’Iran.

Samedi dernier, le ministère algérien de la Culture a donné la mesure de la folie répressive dont souffrent les vieillards qui dirigent ce pays. Ce département a diffusé un communiqué relatif à une directive en vertu de laquelle «toute programmation et diffusion de chansons vulgaires est désormais interdite lors des manifestations culturelles officielles» à travers tout le pays. En réalité, l’objectif de cette directive est d’interdire, sous prétexte «d’outrage à la pudeur et aux bonnes mœurs» ou «d’incitation à la violence», certaines chansons dont les paroles n’épousent pas la propagande de «la nouvelle Algérie», refrain cher au duo Tebboune-Chengriha.

Chansons interdites

Il n’est pas difficile d’imaginer que toute chanson qui parle des harragas, du chômage, de la cherté de la vie et même du mauvais temps en Algérie sera interdite par le régime. Même un dérivatif comme une chanson pour rendre moins douloureux leur mal-vivre est désormais interdit aux Algériens.

Dimanche 19 février, et après Radio M il y a tout juste deux mois, c’est au tour du bureau de Berbère Télévision» à Alger d’être fermé par la police. Cette mise sous scellés d’un nouveau média serait liée à la manifestation anti-régime organisée, quelques heures plus tôt à Paris, par des centaines de membres de la communauté algérienne en France, et dont des images auraient été diffusées par l’antenne-mère en France de «Berbère Télévision».

Par Mohammed Ould Boah
Le 20/02/2023 à 12h49