Abdelmadjid Tebboune, le chantre sans talent d’une fiction baptisée «l’Algérie nouvelle»

Abdelmadjid Tebboune, auquel les auteurs du livre Le Mal algérien ont consacré de nombreuses pages.

«Le Mal algérien». On ne pouvait trouver meilleur titre au livre co-écrit par Jean-Louis Levet et Paul Tolila, tant les deux experts français ont opéré une véritable plongée au cœur des nombreux maux qui rongent l’Algérie, depuis sa création en 1962 jusqu’à l’annonce creuse de ce que le président Tebboune qualifie d’«Algérie nouvelle». Les auteurs du livre ont consacré de nombreuses pages à Tebboune, obnubilé par les élections présidentielles, ainsi qu’à ses prurits de réformes auxquels il est le premier à ne pas croire.

Le 30/05/2023 à 13h56

Dans cette radioscopie sans fard d’un pays gangrené par la corruption, dont les richesses sont détournées par les clans qui se succèdent au pouvoir, Abdelmadjid Tebboune occupe une place de choix, lui qui depuis son accession au siège présidentiel n’a eu de cesse de tenter de convaincre ses compatriotes de sa volonté de mener une sainte «révolution industrielle» et d’en finir avec la corruption.

Mais comment convaincre un peuple désabusé, au bord de l’implosion, dont le Hirak a manifesté les revendications et les attentes, en rupture avec les pratiques du pouvoir? Comment le persuader de croire au slogan creux de «l’Algérie nouvelle» dont Abdelmadjid Tebboune se veut le chantre? Le président algérien a trouvé le coupable à son impéritie: l’administration algérienne.

De la recherche de coupables fictifs à la construction de piloris pour l’opinion

Depuis que Abdelmadjid Tebboune a été désigné pour occuper la plus haute fonction de l’État, celui-ci n’a eu de cesse de multiplier les interventions musclées concernant l’administration algérienne. Des discours violents, relayés par une presse dithyrambique à l’égard de celui qu’elle présente comme un président «sur tous les fronts», combatif et engagé dans «une course contre la montre», tentant d’éradiquer une «bureaucratie qui se mue encore dans une posture destructrice».

À l’occasion de ces discours qui s’apparentent davantage à des réquisitoires, Abdelmadjid Tebboune n’a cessé d’invectiver et de lancer des ultimatums pour dénoncer «les entraves intentionnelles qui obéissent à des calculs politiciens». Il dénonce tous azimuts la corruption, les blocages à tous les niveaux de l’État de projets d’investissement qui se comptent par centaines. Le président algérien va même jusqu’à qualifier les entraves au lancement de projets de «crimes contre l’économie» et «signes de grande déchéance», en rappelant à quel point «l’Algérie compte sur l’apport de l’industrie dans la relance et la diversification de son économie».

Le coupable est donc désigné: l’administration algérienne «sclérosée», qui a toute seule «généré une économie mafieuse», et qui serait responsable de tous les maux qui gangrènent l’Algérie. Au sein de cette administration, «les forces d’inertie (…) œuvrent contre la stabilité du pays et espèrent toujours parvenir à une situation de chaos».

Cette administration n’aurait pas agi seule, car la main d’un complot orchestré par l’étranger et des ennemis intérieurs se profile au fil des discours du président qui use des ficelles bien connues du pouvoir algérien. Dans le cas présent, les coupables sont le Hizb frança, «le parti de la France», et les Issabate qui composaient le clan de Bouteflika et qui tenteraient par tous les moyens de revenir en force pour continuer de voler le peuple. «Des enquêtes sont en cours», tempête le président algérien, afin de savoir, menace-t-il «qui fait quoi et qui bloque».

Pour les deux auteurs du livre, le terrain sur lequel évolue Abdelmadjid Tebboune est bien connu, tant celui-ci use de la sempiternelle ritournelle qui veut que «rien ne va mal en Algérie sans que soient impliquées les intentions malveillantes des « autres », que ce soit la France, le Maroc ou tout pays qui servira opportunément de repoussoir idéologique commode», résument-ils.

Les discours du président algérien viennent ainsi grossir cet «appel incessant que celui des pouvoirs algériens aux complots contre le pays, la menace étrangère, la désignation des traîtres alliés aux machinations de l’extérieur: tout le monde en veut à l’Algérie nouvelle!».

Dans ce grand jeu de dupes, il convient de ne pas se tromper. Vus par le pouvoir, ce ne sont pas les objectifs d’un avenir commun à construire qui définissent la nation algérienne, mais bien ses ennemis. Une construction de la nation qualifiée de «Schimitienne» par les coauteurs, élaborée selon une vision «paranoïaque et angoissante».

Entre peur et incrédulité, les Algériens pris en otage

Certes, consentent les deux auteurs du livre, les lourdeurs et les problèmes posés par l’organisation administrative algérienne sont une réalité, «mais peut-on faire d’elle le coupable idéal sans prendre en compte sa situation réelle au regard du pouvoir en Algérie et notamment de ce que les Algériens appellent de façon assez spontanée aujourd’hui « l’Etat profond »»?

Ce peuple, qui assiste depuis quarante ans, impuissant, au clanisme des élites, au tribalisme régional, au clientélisme effréné et à l’avidité ahurissante d’une nomenklatura aux appétits déchaînés, croit-il vraiment à tout ce verbiage?

La réponse à cette question, bon nombre d’Algériens l’ont déjà. Elle s’exprime dans le livre par la voix d’un haut fonctionnaire à la retraite qui a fait carrière dans un important ministère: «L’administration? En embolie complète! Le président? Autisme parfait! Il ne pense déjà plus qu’à sa réélection pour un deuxième mandat! Mais pour ça, pour ça… il faut montrer qu’on est l’homme de la situation et déminer par avance le terrain (…) L’administration, en réalité, il s’en moque. C’est un mot dans ses discours et un bouc émissaire facile».

Il n’en demeure pas moins qu’à force d’invectives et de menaces pour dénoncer ce fameux «complot administratif», Tebboune est parvenu à créer ce que les auteurs qualifient de «syndrome de persécution», tant dans les instances gouvernementales et les administrations que du côté des responsables d’entreprises publiques, également mis en cause dans ce même panier répressif.

Le président algérien ne s’attendait toutefois pas à de telles retombées suite à sa campagne anti-administration. Car faute de convaincre ses compatriotes, celui-ci a ouvert la voie à une véritable chasse aux sorcières qui a paralysé l’activité des administrations, mais aussi des entreprises publiques. Et pour cause, une véritable campagne de dénonciation de fonctionnaires a eu lieu, nourrie principalement par des lettres anonymes, débouchant sur une série d’actions judiciaires entreprises sans tenir compte des procédures légales ni de la présomption d’innocence. Par crainte de la dénonciation et de l’emprisonnement, les fonctionnaires ont ainsi décidé de raser les murs en en faisant le moins possible, en ne prenant aucune initiative et de facto en renvoyant aux calendes grecques le traitement de dossiers importants, se gardant bien de prendre des initiatives qu’on pourrait leur reprocher anonymement.

Après avoir instauré un climat de terreur et de suspicion qui a paralysé l’activité des administrations et des entreprises publiques, le président Tebboune a dû faire marche arrière. Dans une note d’instruction adressée aux membres du gouvernement et aux corps de sécurité, il dénonce, ironie de l’histoire, ce même «climat de peur et de suspicion» qui paralyse l’activité du pays, appelant la justice à ne plus tenir compte des dénonciations anonymes.

En somme, Tebboune donne des ordres qu’il décrie, quelques mois plus tard, en feignant d’ignorer qu’il en est l’auteur. Dans les médias algériens, tous inféodés au pouvoir, personne n’ose rappeler au président qu’il se bat contre lui-même.

Docteur Abdelmadjid & Mister Tebboune

Ce vaste complot administratif que Abdelmadjid Tebboune a tôt fait de qualifier de «contre-révolution», et qui lui permet de relancer la notion de «front intérieur» sur lequel sera bâtie «l’Algérie nouvelle» et son développement, n’est qu’un vaste écran de fumée dont la faible opacité ne permet pas de cacher la réalité. À commencer par le sienne, celle de Tebboune lui-même.

Que le président Tebboune semble le découvrir et constater soudain la malfaisance et le caractère toxique pour le progrès économique et l’image de l’Algérie des administrations algériennes «paraît relever du conte pour enfants», jugent ainsi les auteurs. Et pour cause, celui-ci a fait toute sa carrière dans cette même administration, notamment celle du ministère de l’Intérieur. Personne ne croit à sa virginité administrative.

«Cet apparatchik de la plus belle eau, ce pur produit de l’appareil d’État apparaît comme une caricature du parfait technocrate» dont la «longue carrière plaide mal pour lui», relève-t-on. En effet, il ne pouvait rien ignorer de l’état des administrations algériennes… Or, c’est celui-là même qui cloue au pilori de l’opinion publique l’administration dont il est issu qui a pourtant gardé le silence jusqu’en 2020 sur ces si nombreux dysfonctionnements qu’il torpille. «Quasiment cinquante ans à se taire sur ce grand complot contre l’Algérie, sur ces grands bandits qui saignent leur pays. On imagine ses souffrances», ironisent Jean-Louis Levet et Paul Tolila.

Les dénonciations par Tebboune des «crimes économiques» commis contre l’investissement par les administrations relèvent de l’aberration, car la situation de l’investissement en Algérie, que ce soit dans la santé, l’agriculture, la diversification industrielle ou le numérique, ne pouvait lui être inconnue, au même titre que ses causes, dont la fameuse règle de l’actionnariat minoritaire des étrangers 49/51, l’insécurité juridique des contrats ou encore la corruption au plus haut niveau de l’État.

À quoi joue Abdelmadjid Tebboune?

Faute de convaincre, le médiocre stratagème employé par Abdelmadjid Tebboune laisse donc apparaître, in fine, tout ce que le «système» tente de masquer. L’inefficacité des administrations algériennes relève d’une évidence constatée et prouvée avec le temps.

«On sait que le népotisme est un des fléaux de l’administration algérienne, mais Tebboune n’en parle pas, car pour qu’il y ait des « neveux », il faut qu’il y ait des « oncles »… et ceux-là doivent rester tranquilles», analysent les deux auteurs.

Avec le président Tebboune, «l’État profond a encore de beaux jours devant lui», car «en le confondant avec la seule administration, soi-disant obstacle aux volontés réformatrices du politique, il laisse le champ libre à ce que tous les Algériens dénoncent avec force: la mainmise prétorienne de l’armée sur le pays et son économie, les prédations des groupes économiques et sociaux qui ont intérêt au statu quo des logiques du système».

Ainsi, pour Abdelmadjid Tebboune, «il s’agit de mettre en place un climat de précarité générale dans presque tous les cercles de la décision administrative pour indiquer qui détient désormais le pouvoir, où se trouvent les donneurs d’ordre, ceux qui sifflent les fins de partie».

Et dans ce contexte, «la violence des termes n’est là que pour ça, les conduites en prison diverses et variées aussi: la peur est une excellente conseillère pour inviter à l’allégeance et faire comprendre tout l’intérêt d’une soumission totale aux maîtres nouveaux».

Alors, questionne-t-on à juste titre, «vraiment nouvelle, cette Algérie nouvelle?» La ritournelle date, le disque est rayé et les Algériens n’y croient pas un seul instant. Entre les pontes du régime, les styles diffèrent, mais la structure de la base narrative reste la même: «Beaucoup de coupables et un seul innocent, le pouvoir en place».

Par Zineb Ibnouzahir
Le 30/05/2023 à 13h56