Comme Attila, Gengis Khan ou encore la peste noire, la pandémie du Covid-19 nous est venue de l’Est, plus précisément de l’Extrême-Orient. Hypermoderne, cette horde invisible qu’aucune muraille ne saurait arrêter n’a cependant pas emprunté les steppes eurasiatiques pour nous parvenir, mais plutôt les aéroports, les ports et les routes, ces steppes du nomadisme contemporain.
Pris de court et mis sous une pression médiatique totalement délirante, les Etats ont spontanément réagi chacun à partir de sa propre culture politique. Paradoxalement, les gouvernements dits «populistes» ont été les plus libéraux dans leur gestion de la pandémie, en témoignent les Etats-Unis de Trump, le Royaume-Uni de Johnson, ou encore le Brésil de Bolsonaro. En Europe continentale, ce sont les vieux réflexes jacobins et autoritaires qui ont refait surface, comme quoi, grattez le vernis du libéralisme politique et vous retrouverez le bon vieux Léviathan.
Au Maroc comme d’habitude, c’est l’hybridité qui a pris le dessus. Une stratégie du «Stop and Go» a été adoptée, pour le meilleur et pour le pire. Une alchimie très particulière faite de fermeté et de laxisme, en adéquation avec les impératifs du réel où la gestion sanitaire fut tiraillée entre la précarité économique de bon nombre de Marocains et la nécessité de juguler la pandémie. Le résultat est loin d’être décevant, bien que souvent agaçant dans les moyens d’y parvenir. Entre les décisions de minuit, les embouteillages devant les barrages et l’irrationalité de certaines décisions, vécues comme arbitraires, le Marocain tient bon, mais au détriment de sa santé psychique, déjà malmenée par une nécrologie médiatique culpabilisatrice et une infinité de contradictions et d’injonctions paradoxales auxquelles nous semblons faussement accoutumés.
Au Maroc, comme ailleurs, du côté des pourfendeurs de la stratégie de l’enfermement à tout va, deux exemples sont souvent mis en exergue. Celui de la Suède, qualifié de «pays sans confinement» ou pour reprendre la bande-dessinée de mon enfance «ce petit village qui résiste encore et toujours à l’envahisseur», et du Royaume-Uni, qui récemment a annoncé la levée de toutes les restrictions liées à la gestion de la pandémie.
Sans sombrer dans des querelles byzantines quant à l’efficacité des différentes approches, ce qui m’a le plus interpellé dans la démarche, c’est l’argument mis en avant par le gouvernement britannique. Boris Johnson a décidé de s’en remettre à la «responsabilité individuelle» des Britanniques, en expliquant vouloir «s'éloigner des restrictions légales et permettre aux gens de prendre leurs propres décisions éclairées sur la façon de gérer le virus». Rappelons que c’est au nom de la «liberté» que le Royaume-Uni a quitté l’Union Européenne, et que, là encore, c’est au nom de cette même liberté qu’il décide de s’en remettre à la souveraine liberté de ses citoyens. Chassez le naturel et il revient au galop. Le berceau du libéralisme ne peut donc échapper à ce qu’il est profondément.
Maintenant, qu’est ce qui nous empêche, au Maroc, de faire de même ? Ma réponse semblera peut-être laconique, mais je dirais que pour parler de «responsabilité individuelle», il faut au préalable avoir au moins des individus. Or, au Maroc, nous avons certes des personnes, mais aucunement des individus. Car l’individu n’est pas une réalité en soi, mais un projet civilisationnel qui se forge sur des siècles. La modernité occidentale a produit son «individu» sur des siècles à travers une épopée politique, philosophique, et culturelle. Au Maroc, nous nous contentons de le mimer, faute de pouvoir produire le nôtre. Voilà donc une question qui mérite un plus ample développement, qui ne manquera pas d’arriver lors de ma prochaine chronique.
En attendant, au lieu d’obliger les gens à ne pas mourir, ne vaudrait-il pas mieux nourrir en eux le désir de vivre? Une question qui par-delà la dimension logistique de la gestion du Covid, interpelle par-dessus tout notre vision et notre rêve du Marocain de demain.