Jamais la paraphrase d’Audiard n’a semblé aussi juste qu’après l’hallucinante décision que vient de prendre le président Abdelmadjid Tebboune. Afin de tenter de masquer l’isolement de l’Algérie sur la scène internationale après le désastre diplomatique subi dans le dossier du Sahara dit occidental, voilà que le président algérien ressort le joker de la mise en accusation de la France à travers l’organisation d’une «conférence internationale sur les crimes du colonialisme sur le continent».
Or, le président algérien devrait tout au contraire clamer sa reconnaissance éternelle à la France coloniale sans laquelle, aujourd’hui, son pays serait peut-être encore une wilaya turque. En effet, quand, en 1830, la France chassa les Ottomans, la «nation algérienne» était un «non-concept». Cent trente ans plus tard, au moment de l’indépendance de juillet 1962, tout ce qui existait en Algérie avait été construit par la France et à partir du néant.
Ce fut en effet la France qui créa l’Algérie en lui donnant son nom et ses frontières.
Des frontières qui furent tracées en amputant territorialement le Maroc de toute sa partie orientale généreusement offerte à l’Algérie française. Une Algérie française dont l’Algérie algérienne est l’héritière directe. Une héritière qui, sans le moindre remords, et alors qu’elle ne cesse de dénoncer le colonialisme, conserve jalousement le legs exorbitant qui lui fut fait par la France coloniale. Sans oublier que d’autres amputations furent également faites aux dépens de la Tunisie et de la Libye. En plus de cela, la France offrit à l’Algérie un Sahara qu’elle n’avait, et par définition, jamais possédé puisqu’elle n’avait jamais existé…
Abdelmadjid Tebboune ose même parler du «pillage» de l’Algérie fait par la France.
Singulier «pillage» en effet quand l’on se reporte aux chiffres. En 1962, la France légua ainsi à sa «chère Algérie», selon la formule de Daniel Lefeuvre, un héritage composé de 54.000 kilomètres de routes et pistes (80.000 avec les pistes sahariennes), de 31 routes nationales dont près de 9.000 kilomètres étaient goudronnés, de 4.300 km de voies ferrées, de 4 ports équipés aux normes internationales, de 23 ports aménagés (dont 10 accessibles aux grands cargos et dont 5 qui pouvaient être desservis par des paquebots), de 34 phares maritimes, d’une douzaine d’aérodromes principaux, de centaines d’ouvrages d’art (ponts, tunnels, viaducs, barrages, etc.), de milliers de bâtiments administratifs, de casernes, de bâtiments officiels, de 31 centrales hydroélectriques ou thermiques, d’une centaine d’industries importantes dans les secteurs de la construction, de la métallurgie, de la cimenterie etc., de milliers d’écoles, d’instituts de formations, de lycées, d’universités avec 800.000 enfants scolarisés dans 17.000 classes (soit autant d’instituteurs, dont deux-tiers de Français), d’un hôpital universitaire de 2.000 lits à Alger, de trois grands hôpitaux de chefs-lieux à Alger, Oran et Constantine, de 14 hôpitaux spécialisés et de 112 hôpitaux polyvalents, soit le chiffre exceptionnel d’un lit pour 300 habitants. Sans parler du pétrole découvert et mis en exploitation par des ingénieurs français. Ni même d’une agriculture florissante laissée en jachère après l’indépendance.
«Tout ce qui existait en Algérie en 1962 avait été payé par les impôts des Français.»
— Bernard Lugan
À telle enseigne qu’aujourd’hui l’Algérie doit importer jusqu’à du concentré de tomate, des pois chiches et même de la semoule pour le couscous… Quant à sa seule exportation agricole, celle de ses dattes, elle ne sert même pas à compenser ses achats de yaourts fabriqués à l’étranger…
Or, tout ce qui existait en Algérie en 1962 avait été payé par les impôts des Français.
En 1959, l’Algérie engloutissait ainsi 20% du budget de l’État français, soit davantage que les budgets additionnés de l’Éducation nationale, des Travaux publics, des Transports, de la Reconstruction et du Logement, de l’Industrie et du Commerce!
L’addition des chiffres donne le vertige: durant les seuls 9 premiers mois de 1959, les investissements français en Algérie atteignirent 103,7 milliards. Entre 1959 et 1961, pour le seul plan de Constantine, les industries métropolitaines investirent 27,40 milliards d’anciens francs, gaz et pétrole non compris. Pour plus de détails chiffrés, on se reportera à mon livre «Histoire des Algéries», publié en 2025 aux éditions Ellipses.
Quant au pétrole découvert par des géologues français, durant les phases de prospection, la France avait dépensé des sommes considérables, chaque forage revenant à 600 millions de francs car les couches exploitables étaient situées à plus de 3.000 mètres, une prouesse technologique pour l’époque. De plus, l’État français dut quasiment imposer à des compagnies réticentes une mise en production qui débuta fin 1957, puis en 1959, mais qui ne commença véritablement qu’en 1961 et cela, pour deux grandes raisons:
1- Le pétrole algérien étant trop léger pour pouvoir être transformé en fuel dont avait alors besoin l’industrie française, il fallait donc le vendre sur le marché international.
2- Or, à cette époque, le marché mondial était saturé car l’URSS bradait ses huiles à bas prix et parce que, l’Algérie et la Libye arrivant en même temps sur le marché, le déséquilibre des cours fut accentué. De plus, le pétrole libyen était plus facile à exploiter et à écouler que celui d’Algérie.
De plus, qu’il s’agisse des minerais, du liège, de l’alpha, des vins, des agrumes etc., toutes les productions algériennes avaient des coûts supérieurs de 30 à 50% de ceux du marché. Or, portant l’Algérie française à bout de bras, la France achetait au prix fort ces productions qu’elle avait déjà largement payées puisqu’elle n’avait jamais cessé de les subventionner!
Voilà pourquoi, parlant de l’Algérie comme d’un «boulet» et d’un «fardeau» empêchant la France de se tourner vers son avenir européen et mondial, le général de Gaulle disait que «la France ne peut pas rester indéfiniment accrochée à ce rocher».





