Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite, sous l’égide de Pékin, implique une profonde redistribution des cartes au Moyen-Orient avec des retombées potentiellement significatives dans cette région stratégique.
Un nouveau paradigme
L’accord Iran-Arabie saoudite «est l’illustration d’un changement de paradigme beaucoup plus vaste, à l’œuvre depuis plusieurs années», résume Pierre Razoux, directeur académique de la Fondation méditerranéenne d’études stratégiques (FMES). «Les Etats-Unis ne sont plus perçus comme la puissance dominante de la région. Leurs alliés traditionnels (comme l’Arabie saoudite, NDLR) doutent de leur engagement à les protéger, donc ils vont chercher ailleurs», poursuit-il.
Selon ce chercheur, «l’acteur global qui est perçu comme une nouvelle puissance de stabilisation, c’est désormais la Chine». Son objectif «n’est pas de pacifier la région, mais de la stabiliser, par des incitations économiques et financières. La Chine n’est pas encore prête à s’engager militairement dans la zone».
Pour autant, avec cet accord «l’Arabie ne veut pas se positionner contre les États-Unis», nuance Fatiha Dazi-Héni, chercheure spécialiste du Golfe à l’Institut de recherche stratégique de l’école militaire française (Irsem). «Toutes les déclarations officielles de Ryad ont consisté (...) à rassurer le partenaire américain, en soulignant sa volonté de trouver un juste équilibre entre les deux superpuissances», relève-t-elle dans la revue Orient XXI.
Assad réhabilité?
Par le truchement de leurs réseaux et relais, les deux puissances régionales que sont Ryad et Téhéran se livrent depuis des années une guerre par procuration. Leur «rapprochement peut avoir des conséquences au Yémen, en Irak, en Syrie et au Liban», décrypte M. Razoux. Il «ne résout en rien les crises, mais les apaise car les acteurs régionaux n’ont plus d’intérêt à verser de l’huile sur le feu».
En Syrie, le président Bachar el-Assad, fort du soutien de Téhéran et Moscou, a survécu à la guerre civile qui ravage son pays depuis 2011, alors que l’Arabie saoudite était un des nombreux parrains des rebelles.
Paria de la communauté internationale, il est en train de redevenir fréquentable dans la région. «L’Arabie devrait normaliser avec Bachar el-Assad, permettant à Ryad de compenser les influences russe et turque et d’investir dans la reconstruction du pays», anticipe M. Razoux.
Apaisement au Yémen?
Au Yémen, Téhéran soutient les rebelles Houthis en guerre contre le gouvernement, appuyé depuis 2015 par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite. Ryad «ne peut garantir un rôle constructif de l’Iran, mais compte sur une approche compréhensive de ses intérêts par Pékin», estime Yasmine Farouk, du Carnegie Endowment for international peace.
Pour autant, les Houthis pourraient tenter de capitaliser sur «leurs gains militaires» qui «leur permettent de dicter le tempo de la diplomatie internationale au Yémen», relève de son côté Nadwa Al-Dawsari du Middle East Institute. En outre, «un conflit indirect est en train de sourdre dans le Sud du Yémen entre les Saoudiens et les Emiratis», qui sont pourtant alliés dans le combat contre les Houthis, ajoute-t-elle.
Les deux alliés «n’ont pas la même vision du futur du Yémen» abonde M. Razoux, et Abou Dhabi «se satisferait de sa partition» qui lui permettrait de poursuivre ses propres objectifs géopolitiques en mer Rouge et au large de la corne de l’Afrique.
Irak, le statu quo
En Irak, «Ryad souhaite aussi que cette normalisation puisse contribuer à calmer le jeu avec les milices chiites» de ce pays où Téhéran joue un rôle de premier plan, relève Mme Dazi-Héni. «L’accord pourrait permettre d’apaiser les tensions internes, réduisant ainsi les risques de rechute vers la guerre civile, chaque pays devant donner des garanties aux différentes parties», juge de son côté M. Razoux.
«S’il y a un rapprochement, on assistera évidemment à une amélioration immédiate sur le plan sécuritaire (...), mais pas sur la politique intérieure irakienne», observe Renad Mansour, du centre de réflexion Chatham House, pour qui l’influence iranienne ne devrait guère être bouleversée.
Positif pour le Liban, moins pour Israël
Au Liban, le chef du tout-puissant Hezbollah, allié de Téhéran, Hassan Nasrallah, a estimé que l’accord pourrait «aider» à la résolution des crises qui secouent le pays. «L’Iran et l’Arabie devraient être d’accord pour éviter que le pays s’effondre», car un tel scénario serait «néfaste pour les deux parties», anticipe M. Razoux. «Vu la situation financière du Liban, l’Arabie Saoudite, dont les caisses sont pleines de pétrodollars, pourrait renvoyer du cash qui ruissèlerait par les canaux habituels de clientélisme et corruption» dans le pays.
Lire aussi : Ryad et Téhéran vont rétablir leurs relations diplomatiques
Les conséquences seraient en revanche moins favorables pour Israël, déjà confronté à l’impression de repli de l’influence américaine dans la région et à une importante crise politique intérieure. Dans ce contexte, «la décision de Ryad de renouer des relations diplomatiques» avec l’Iran est «extrêmement problématique» pour Tel-Aviv, estiment les chercheurs Giorgio Cafiero et Shehab Al Makahleh dans le magazine Responsible Statecraft du centre de recherche américain Quincy Institute.
La pierre angulaire de la politique étrangère israélienne est d’isoler son ennemi iranien et Israël voulait intégrer l’Arabie saoudite à cette coalition contre Téhéran, qui s’approche inexorablement du statut de pays nucléaire.