Limogeages à la pelle en Algérie: Tebboune instaure un mode de gouvernance basé sur des réactions épidermiques

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors d'une interview télévisée, le 15 février 2022 à Alger.

Le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, lors d'une interview télévisée, le 15 février 2022 à Alger. . Télévision algérienne / Le360 (capture image vidéo)

La «nouvelle Algérie» que promet le nouveau pouvoir militaro-politique, n’arrive toujours pas à trouver ses marques. La preuve par les purges interminables qui, après avoir décimé la hiérarchie militaire, frappent aujourd’hui, et à un rythme effréné, les hautes fonctions civiles de l’Etat.

Le 07/06/2022 à 12h31

Le 15 août 2017, après trois mois seulement au poste de Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune a été limogé par Abdelaziz Bouteflika (ou plus exactement par Saïd Bouteflika). Une «humiliation» sans précédent qui a laissé des séquelles à Tebboune qui estime, visiblement, que les limogeages brutaux sont un moyen efficace de proclamer son autorité, voire peut-être d’inspirer la crainte que le poste qu'il occupe, et qu'il aura usurpé à la faveur d'un scrutin douteux, ne permet pas.

Parachuté, en effet, à la tête de l’Etat algérien par l’ancien patron de la junte, le défunt Ahmed Gaïd Salah, Tebboune a ensuite été férocement contesté par un important mouvement de protestation populaire, le Hirak, qui n’a jamais reconnu une once de légitimité à celui qu’il surnomme le «président falsifié».

Aujourd'hui, et comme s'il cherchait à se venger de cette illégitimité que lui a brandie la rue algérienne lors d'inlassables marches de longs mois durant, les limogeages opérés par Tebboune sont légion. Commençons par les plus récents. Le jeudi 2 juin, le PDG d’Algérie Ferries, relevant de l’établissement national de transport maritime de passagers, a été brutalement démis de ses fonctions. La raison invoquée est l’«atteinte à l’image de l’Algérie». Il s’agirait en fait d’une grogne d’Algériens de France et d’échauffourées qui auraient perturbé la vente de billets dans l’agence d’Algérie Ferries à Marseille. Des incidents qui ont entraîné l’intervention massive des forces de l’ordre françaises, qui ont utilisé du gaz lacrymogène pour disperser les mécontents. Une cuisante humiliation pour l’appareil militaro-politique, très regardant sur son image à l’étranger.

Un problème similaire, relatif à l'émission de billets, et une autre mauvaise gestion, cette fois-ci dans la compagnie aérienne Air Algérie, ont conduit Tebboune à limoger tout aussi briutalement, le 10 mars dernier, son ministre des Transports, Aissa Bekkai, nommé à ce poste en juillet 2021. Ce dernier aurait commis, sans que plus de détails n'aient été livrés, une «faute grave», selon un communiqué de la présidence algérienne.

Il est utile de rappeler ici qu'en janvier 2021, Tebboune avait renvoyé un autre ministre des Transports, Lazhar Hani, ainsi que le PDG d’Air Algérie de l’époque, Bekhouche Allache, pour dilapidation de devises dans le catering de la compagnie aérienne.

Les transports ne sont pas les seuls secteurs qui auront été frappés par cette frénésie de limogeages. Lundi 30 mai, Tebboune a ainsi limogé Rostom Fadli, qui n’est autre que le gouverneur de la Banque d’Algérie, la banque centrale du pays. L'homme était en poste depuis moins de deux ans, et là aussi, le communiqué de la présidence annonçant sa mise à l’écart n’en a pas donné la raison.

Ces limogeages ne sont, en fait, que l’arbre qui cache la forêt. Certains postes étant trop visibles, il n’est pas possible de dissimuler les changements à leur tête. Car dans la réalité, ce mode de gouvernance épidermique et ces décisions hystériques sont devenues la marque de fabrique de Tebboune. D’ailleurs le site Interlignes, qui vient d’annoncer le limogeage, pas plus tard que jeudi dernier, de deux walis, dont celui de Khenchela, le souligne: «à maintes reprises, le chef de l’Etat a relevé de leurs fonctions des ministres, des walis… Des responsables d’entreprises, sans que l’opinion publique n’en soit éclairée».

L'opinion publique algérienne ne comprend d'ailleurs toujours pas les raisons du limogeage, le mardi 31 mai dernier, de Tahar Allache, PDG de l’aéroport international d’Alger. Pour certains, ce serait un passage par cette aérogare du chef de l’état-major de l’armée algérienne, le général Saïd Chengriha, qui est à l'origine de ce renvoi et de la nomination immédiate du remplaçant de Tahar Allache. Celui-ci a été entendu le dimanche 5 juin dernier par le procureur près le tribunal de Sidi M’Hamed d’Alger, celui-là même qui avait envoyé en prison deux anciens premiers ministres (Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia), en plus de plusieurs autres ministres et oligarques du régime algérien.

Ces purges chez les hauts responsables civils sont à l’image de celles qui ont été menées au sein de l’armée algérienne par Saïd Chengriha ou, le plus souvent, par les généraux à la retraite Khaled Nezzar et Mohamed Médiène dit «Toufik», qui ont embastillé et torturé des dizaines de généraux et d’officiers supérieurs. Tout ce beau monde se retrouve aujourd'hui plongé dans une interminable vendetta, alors même que ces caciques de l'armée algérienne ont eux-mêmes ayant goûté amèrement la prison, en ce qui concerne «Toufik», ou la fuite et un exil forcé pour Nezzar, du temps où feu Gaïd Salah était l’homme fort de la junte.

Le climat de terreur qui règne depuis 2015 dans l'armée algérienne est donc aujourd’hui transposé, à grande échelle, aux plus hautes fonctions civiles.

Les décisions épidermiques de Tebboune semblent aujourd'hui d’autant plus arbitraires que le pays fait face à une très grave faillite sécuritaire. La preuve: les corps de deux hommes ont été découverts le samedi 4 juin dernier dans la soute d’un avion d’Air Algérie à l’aéroport international Houari Boumédiène, à Alger. Les victimes, âgées de 20 et 23 ans, voulaient fuir au péril de leur vie cette fameuse «Algérie nouvelle», pourtant allègrement chantée par le régime. Ils ont finalement atteint, sans vie, l’aéroport de Barcelone, et leur corps inanimé a finalement été retrouvé dans le même appareil... à l'aéroport d'Alger.

Un drame qui n’est pas le premier du genre, un adolescent, âgé de 16 ans, ayant réussi le 9 mars dernier à se faufiler dans un appareil d’Air Algérie à l’aéroport de Constantine et à atteindre, en vie, l’aéroport Charles de Gaulle à Paris. Un miracle. 

Question, qui taraude de nombreux observateurs: comment est-ce que des jeunes peuvent déjouer tous les dispositifs de sécurité dans un aéroport international et réussir à se réfugier dans un avion? La performance, qui a été rééditée à deux reprises en Algérie, est unique en son genre et apporte la preuve de la déliquescence sécuritaire du pays et de l’effondrement de ses institutions. Là, on avait affaire à des jeunes qui voulaient fuir un pays soi-disant pétrolier et gazier. Demain, des personnes avec des visées terroristes peuvent très bien monter à bord d’un avion se trouvant dans un aéroport algérien.

La gouvernance épidermique de Tebboune est décidément sans effet dans un pays où l’incompétence et la corruption se logent à tous les étages.

Par Mohammed Ould Boah
Le 07/06/2022 à 12h31