Alors que le ministre français des Affaires étrangères rencontre les autorités algériennes, ce dimanche, dans le cadre de la reprise des rapports diplomatiques entre la France et l’Algérie, les organisations «Riposte internationale», «Pour une alternative démocratique en Algérie» et «Révolution du sourire», regroupant des Algériens de la diaspora, sont montées au créneau en publiant à son attention une lettre ouverte.
Si le réchauffement entre les deux pays se veut annonciateur de la fin d’une crise de plusieurs mois entre les deux pays, les signataires de cette lettre ouverte entendent rappeler quelques fondamentaux que la reprise des rapports diplomatiques ne saurait reléguer aux oubliettes.
Appliquant la même démarche qu’en 2022, à l’occasion de la venue en Algérie d’Emmanuel Macron, les trois organisations placent au cœur de leur appel le respect des droits humains en Algérie, à l’heure où la justice et la dignité humaine ne sont plus que de lointains souvenirs au pays des chouhadas.
Boualem Sansal et les 250 autres détenus d’opinion
Principale figure de «la dérive autoritaire effective du régime algérien», l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, devenu depuis son arrestation arbitraire en novembre dernier une monnaie d’échange, comme le révélait sur France 2 le deuxième volet du reportage «L’œil du 20 heures», consacré aux pressions subies par les opposants au régime d’Alger en France. Ainsi, l’Algérie aurait-elle demandé l’extradition de plusieurs opposants algériens réfugiés en France, à l’instar d’Aksel Bellabbaci, contre la libération de l’écrivain de 80 ans. Un odieux chantage qui aurait été refusé par la France certes… Toutefois, force est de constater que si la libération de Boualem Sansal fait partie des exigences de la France pour la reprise des relations avec l’Algérie, comme l’avait laissé entendre le premier ministre François Bayrou, celle-ci risque fort d’être un cas isolé.
En effet, expliquent les auteurs de la lettre ouverte, si la vive émotion suscitée dans la classe politique, le monde culturel et les médias français par l’arrestation de Boualem Sansal a entraîné une importante mobilisation, celle-ci contraste pourtant cruellement avec «le silence persistant entourant la détention de nombreux autres citoyens algériens, dont plusieurs binationaux franco-algériens, eux aussi victimes d’une répression arbitraire, mais relégués dans l’oubli».
Boualem Sansal est loin d’être une exception en Algérie. Il est au contraire le symbole de la contestation qu’on musèle et qui continuera de l’être. Avec cette piqûre de rappel, les signataires de cette lettre ouverte mettent la diplomatie française devant une politique du deux poids deux mesures qui s’appliquait jusqu’à présent, mais qui ne peut plus être acceptable à l’heure où les rapports franco-algériens se doivent d’être repensés.
Citant le jeune poète Mohamed Tadjadit, l’universitaire Mira Moknache, la militante du Sud Abla Ghomari ou encore le journaliste Abdelwakil Blamm, la lettre ouverte rappelle que ceux-ci ne «sont que quelques figures des deux cent cinquante détenus d’opinion actuellement emprisonnés en Algérie, aux côtés de Boualem Sansal», dont nombre d’entre eux «sont illégalement maintenus en détention provisoire prolongée, en violation même de la procédure du code pénal algérien».
Un important rappel qui emboîte le pas à la résolution adoptée le 23 janvier par le Parlement européen afin de condamner les graves atteintes à la liberté d’expression en Algérie, exigeant la libération immédiate de l’écrivain et essayiste franco-algérien Boualem Sansal, ainsi que celle du poète Mohamed Tadjadit et du journaliste Abdelwakil Blamm.
L’Algérie, tu l’aimes ou tu ne la quittes plus
Mais les trois organisations ne s’arrêtent pas à ce seul cas de figure et s’emploient aussi à faire le portrait d’un pays qui s’enfonce jour après jour dans un totalitarisme absolu et s’apparente à une prison à ciel ouvert, où «la liberté de circulation aux frontières n’est plus garantie» et où «des citoyens algériens en règle sont interdits de rentrer dans leur pays, et plus fréquemment encore, des citoyens sont interdits de le quitter». Ainsi, face aux Obligations de Quitter le Territoire Français (OQTF) que la France peine à appliquer, l’Algérie distribue quant à elle à tout va des ISTN, (Interdictions de Sortie du Territoire National), mais pas à n’importe qui… Si les influenceurs du régime d’Alger n’ont aucun problème à quitter le territoire afin de mieux proliférer en France et y répandre la bonne parole, celle du régime auquel ils sont soumis, ce n’est pas le cas de ceux qui ne tressent pas des lauriers à ce même régime. Ces voix contestataires, on leur interdit de quitter le territoire pour les empêcher de raconter une tout autre vérité que celle de la propagande. Ainsi, rappellent les auteurs de la lettre ouverte, les principales victimes de ces mesures illégales qui «sont appliquées en dehors de toute décision judiciaire», sont des Algériens, ou des Franco-Algériens qui résident en France, qui «peuvent être retenus pendant de longs mois, perdant ainsi leur travail et mettant leurs familles en difficulté».
Lire aussi : Qui sont les deux autres détenus d’opinion algériens dont le Parlement européen exige la libération?
Les trois organisations algériennes de la diaspora mettent ainsi la lumière sur le sort réservé aux opposants vivant en exil, confirmant dans leur lettre les révélations faites par France 2 dans son reportage. Et de dénoncer à leur tour le «chantage inacceptable» qu’ils subissent, contraints à un choix inhumain: «renoncer à leurs convictions politiques contre le respect de leur droit à la liberté de circulation».
La France à la croisée des chemins
Mais, cet exemple ne représente qu’un échantillon du vaste éventail de stratégies déployées par le régime d’Alger pour mener à bien ce projet visant à faire taire et à mater toute forme de contestation. Et les auteurs de la lettre de rappeler que le régime d’Alger a été jusqu’à promulguer des réformes de lois organiques afin de «restreindre toutes les libertés, contrôler et embrigader la société dans tous ses domaines d’activité: associatif, syndical, presse, politique, culturel». Un redoutable nettoyage par le vide qui porte malheureusement ses fruits avec pour constat affligeant, le bâillonnement de l’opposition politique, l’interdiction des médias indépendants, le harcèlement des maisons d’édition ou encore la censure, la surveillance et le contrôle des conférences intellectuelles et de tout travail de recherche.
Les organisations appellent les autorités françaises à ne pas s’y tromper, «ces atteintes aux libertés fondamentales ne sont ni des bavures isolées ni des dérives ponctuelles», mais s’inscrivent au contraire «dans une stratégie délibérée de politique répressive de toute contestation, amorcée dès 2019, marquée en 2021 par l’adoption d’un arsenal de lois liberticides».
Aujourd’hui, plus que jamais, «l’avenir des relations franco-algériennes exige un rééquilibrage profond: un dialogue d’État à État fondé sur le respect mutuel, la transparence et la réciprocité, loin de toute surenchère mémorielle ou politicienne», rappellent les organisations algériennes de la diaspora. Car comment les rapports entre ces deux pays liés par l’histoire pourraient-ils évoluer dans le bon sens sans «une diplomatie responsable, fondée sur l’intérêt des deux peuples, la clarté des engagements, l’absence de privilèges indus et sur le respect de la Déclaration des droits de l’Homme ainsi que des textes internationaux relatifs aux droits humains», énumère-t-on.
Lire aussi : Le chef de la diplomatie française à Alger pour la reprise du dialogue
En effet, si les prémisses d’un réchauffement se font ressentir, les problèmes que rencontre la France avec l’Algérie, nourris notamment par l’épineuse question des OQTF, ne s’arrêteront pas par magie. Une part de cette problématique, rappelle-t-on, «trouve son origine dans le déni des droits et des libertés» d’une «jeunesse désespérée qui quitte le pays par milliers, par la voie de la migration légale ou illégale». Ainsi, les OQTF ne sont en aucun cas le remède au vrai problème auquel la France ne peut être aveugle plus longtemps, celui d’une «fermeture généralisée qui compromet la vitalité d’une société civile pourtant essentielle à toute dynamique de démocratisation».
La seule possibilité qui se profile ainsi est l’engagement de l’Algérie vers une transition politique démocratique, sans quoi «les citoyennes et citoyens n’auront d’autre choix que la prison ou l’exil». Et cela, la France ne peut l’ignorer plus longtemps.
Bienvenue dans l’espace commentaire
Nous souhaitons un espace de débat, d’échange et de dialogue. Afin d'améliorer la qualité des échanges sous nos articles, ainsi que votre expérience de contribution, nous vous invitons à consulter nos règles d’utilisation.
Lire notre charte