C’est que l’écrasante majorité d'Algériens ne perdent pas de vue les raisons qui les ont amenés à descendre dans la rue, un certain 22 février 2019, pour s’opposer à un système chaotique avec la ferme volonté de ne pas rentrer chez eux jusqu’à ce qu’ils se réapproprient une souveraineté confisquée depuis bien longtemps.
Ce mouvement de colère citoyenne à travers tout le territoire algérien intrigue, fascine et dérange. Déclenché tous les mardis et vendredis, il a résisté vaillamment à la répression policière et aux multiples tentatives d’intimidation des citoyens.
Certes, le scrutin présidentiel du 12 décembre dernier, qui a été largement boycotté par de larges franges de la population algérienne, a offert un moment de répit aux tenants du pouvoir, mais ceux-ci ne montrent pas, pour le moment, des signes de fléchissement.
De l’avis de nombreux observateurs, la position du pouvoir vis-à-vis du "hirak" n’a pas du tout changé après l'accession d’Abdelmadjid Tebboune à la magistrature suprême du pays.
Mieux encore, tous les moyens coercitifs de l'Etat ont été mobilisés pour, dans un premier temps, contenir la révolution et dans un deuxième, la faire échouer. C’est ainsi que dès le début de la crise sanitaire et l'arrêt des manifestations hebdomadaires, la répression continue à s'abattre sur des opposants, journalistes, médias indépendants et jeunes internautes.
Parallèlement, l'adoption précipitée de textes de loi criminalisant la diffusion de "fausses informations" et les "discours de haine sur internet" fait craindre une tentative de "museler" la liberté d'expression. Le journaliste algérien Akram Belkaïd dira, à ce propos, que "c'est le retour à l'ordre de fer, le même qui, dans les années 1970, imposait à toutes les Algériennes et tous les Algériens de la boucler et de filer droit".
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En témoignent, d’ailleurs, de nombreuses ONG à l’instar de Human Rights Watch (HRW) et Amnesty International qui viennent de dénoncer la poursuite de la répression contre les manifestants, en appelant les autorités algériennes à libérer immédiatement et sans condition tous les manifestants pacifiques et les détenus d’opinion arrêtés uniquement pour avoir exercé leurs droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique.
Et contrairement aux promesses électorales du nouveau président d’observer un apaisement dans le rapport entre le pouvoir et le mouvement de revendication, la répression, les arrestations, les incarcérations et la censure ont été érigées en cheval de bataille des tenants du pouvoir qui n’ont pour seule cure que d’assurer la continuité d’un système en faillite.
C’est ainsi que non seulement les engagements électoraux de libération des activistes du Hirak et de celle des détenus d’opinion n’ont pas été honorés, mais pis encore, les interpellations, les poursuites judiciaires contre les manifestants, la prolongation de la détention préventive à l’encontre de plusieurs détenus d’opinion, les entraves à la liberté de manifestation, de rassemblement et de réunion et le maintien des pressions multiformes sur les médias se sont poursuivis à un rythme encore plus accéléré.
Procès d’un système corrompu et d’un règne calamiteuxD’aucuns s’accordent, en effet, à dire que le Hirak a ainsi le mérite de révéler au grand jour l’une des facettes du régime mis en place par les Bouteflika et des gouvernants algériens, celle de concevoir le pouvoir comme un instrument d’enrichissement personnel illicite.
Le procès du dossier des usines de montage automobile et du financement occulte des campagnes électorales de Bouteflika est, à ce titre, très édifiant. Il a révélé une généralisation ahurissante de tous les maux liés à une gouvernance chaotique durant les vingt années de gestion Bouteflika: grosse corruption, dilapidation, détournement des richesses du pays, copinage, entre autres.
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Un grand scandale et une corruption à grande échelle qui a touché le sommet de la hiérarchie, à commencer par Saïd Bouteflika, frère de l'ancien président Abdelaziz Bouteflika, ainsi que deux anciens chefs du renseignement algérien le général Athmane dit Tartag et le général Mohamed Lamine dit Mediene, qui ont écopé de 15 ans de prison.
Les anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal ont, eux aussi, été condamnés par la cour d’appel d’Alger à respectivement 15 et 12 ans de prison ferme, en compagnie d’autres anciens hauts responsables et hommes d’affaires. C’est le cas des anciens ministres de l’Industrie Youcef Yousfi et Mahdjoub Bedda (15 ans de prison ferme), l’ancien ministre des Transports Abdelghani Zaâlane, l’ancienne wali de Boumerdès Nouria Zerhouni et les hommes d’affaires Ali Haddad, Mohamed Baïri et Ahmed Maâzouz (10 ans).
C’est le cas aussi de l’ancien directeur général de la Sûreté nationale (DGSN), Abdelghani Hamel et de l’ancien patron de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI, contre-espionnage), le général Wassini Bouazza, qui ont été emprisonnés pour abus de pouvoir, enrichissement illicite et trafic d’influence.
Un grand nettoyage qui a donc commencé au sommet de la hiérarchie et qui en dit long sur les visées aussi inavouées qu’inavouables des tenants du pouvoir.
De surcroît, par les agissements de ces anciens hauts responsables et hommes d’affaires, le Trésor public a subi des pertes énormes, estimées à près de 130 milliards de dinars (près d'un milliard d’euros), selon le procureur qui est arrivé à la conclusion qu’il n’y a jamais eu d’industrie d’assemblage automobile, accusant certains hommes d’affaires d’avoir monté des sociétés-écrans pour bénéficier d’avantages fiscaux, douaniers, fonciers et autres.
Des faits, tout aussi graves; sont reprochés à Sellal qui a supervisé "en personne" le dossier du montage automobile et, plus grave, son fils est entré dans le capital du groupe "Mazouz" à hauteur de 23%, sans contrepartie. Ahmed Ouyahia, quant à lui, était condamné pour blanchiment d’argent pour n’avoir pas pu justifier l’origine des fonds qui ont transité par son compte, soit 30 milliards de centimes.
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C’est donc le procès de tout un système corrompu et d’un règne calamiteux auquel les Algériens assistent impuissants. Devant l’ampleur des dégâts causés, le nouveau Premier ministre, Abdelaziz Djerad, a été contraint de reconnaître que "l’état des lieux hérité de la gouvernance antérieure traduit de grandes menaces qui continuent de peser sur la situation économique et sociale du pays".
"Des institutions et une administration traumatisées par l’ampleur prise par la corruption qui a profondément affecté la sphère politico-administrative et qui a entraîné un accaparement des centres de décisions économiques et financières au profit des intérêts privés. Une situation financière du pays très fragile, marquée par de profonds déséquilibres aux plans interne et externe", a encore déploré le Premier ministre.
D’ailleurs, les observateurs et avec eux les citoyens lambda conviennent que ces financements occultes et ces détournements de sommes astronomiques ne sont que le côté apparent de l’iceberg. Sans nul doute, à plus forte raison lorsque l’on sait que c’est justement pour en finir avec ces pratiques mafieuses dangereuses, ainsi que le règne de l’autoritarisme et de l’arbitraire que le peuple algérien manifeste depuis le 22 février 2019.
Mais, au lieu de répondre aux revendications légitimes de ses citoyens, le pouvoir, fidèle à sa nature, ruse toujours et décide cette fois-ci de préparer sa propre succession, en envisageant de réviser la Constitution pour se maintenir malgré un bilan calamiteux qui a ruiné le pays.
Conscient des manœuvres des tenants du pouvoir, les Algériens, eux aussi, sont décidés de mener à bon port leur révolution qui exige l’instauration d’un nouveau système politique qui redonne le pouvoir au peuple qui revendique son droit naturel et imprescriptible de vivre libre, de disposer de lui-même et d’opérer ses propres choix.
Face à ce bras de fer entre le pouvoir en place et le Hirak, auquel s’invitent des accidents et dépassements en tous genres, l’urgence ne sera bientôt plus de changer le système, mais de sauver l’Algérie de l’effondrement.