Dans l’Union européenne, la certification Halal échappe au grand mouvement d’européanisation des normes inhérent à la consolidation d’un marché unique européen. Ce n’est pas faute d’avoir essayé: le Comité́ européen de normalisation (CEN) a constitué́ en 2013 un comité́ technique, pour la mise en place d’une norme européenne halal, finalement dissous en 2016… Entretemps, le CEN avait subi les assauts de tous les grands pays importateurs (Turquie en tête, candidate à l’entrée dans l’UE, elle avait réussi à obtenir le secrétariat de cette commission «Halal foods»), les uns pour influer sur la définition de la norme, les autres pour annihiler tout projet de sécularisation d’une norme devant rester une question religieuse et l’affaire des autorités religieuses musulmanes.
Ce sont ces derniers qui ont finalement obtenu gain de cause, au sein d’une grande alliance d’États membres dont le Royaume-Uni à quelques mois du Brexit, de pays européens hors UE, comme la Norvège, et les principaux acteurs français -CFCM, Grande Mosquée de Lyon, Grande Mosquée d’Evry, European Halal Services, AVS…- réunis sous une même bannière: aucun texte normatif du halal ne peut être traité ni être la propriété d’une organisation non musulmane.
Faute de norme commune, chaque État européen garde compétence pour l’organisation de sa labellisation Halal, la souveraineté de chacun ayant pour limites, sur son marché intérieur, la pression des consommateurs, et à l’export, les exigences des pays importateurs. Au sein du marché européen, la norme Halal est aussi devenue un facteur de compétition entre les 27, vers des marchés musulmans d’un poids croissant, dominés -tous produits confondus- par les pays d’Asie: Émirats arabes unis, Arabie saoudite, Turquie, Indonésie, Malaisie…, le Maghreb fermant la liste d’un Top 10 où figurent l’Algérie et le Maroc.
Pour soutenir leurs acteurs économiques, certains pays européens ont choisi de se doter d’une norme Halal nationale, l’Autriche dès 2009, l’Italie en 2010. En Belgique, c’est une région, la Wallonie, qui a fait le choix d’un «Club Halal» pour accompagner ses entreprises vers les pays musulmans. Pour la France, qui compte le plus grand nombre de consommateurs et d’opérateurs Halal, et comme le soulignait déjà, en 2013, une mission d’information sénatoriale sur la filière viande, «le marché de la certification s’est développé de manière anarchique dans un cadre libéral et concurrentiel». L’État n’y intervient que pour contrôler les fraudes à l’étiquetage. Chaque opérateur utilise son propre cahier des charges et fixe librement ses tarifs de certification.
«On regrettera qu’une fois de plus, la Grande Mosquée de Paris serve de bras armé à l’exécutif algérien. Un comble pour ce lieu symbolique, bâti par des artisans marocains, et dont la paternité revient au sultan Moulay Youssef et au maréchal Lyautey.»
La décision d’Alger de confier à la seule Grande Mosquée de Paris la certification Halal pour tous les produits à destination de l’Europe pose évidemment une question politique. Mais au niveau communautaire, elle interroge d’abord sur l’euro-compatibilité de la mesure. C’est bien sous cet angle qu’à peine élu, l’eurodéputé néerlandais conservateur (ECR) Bert-Jan Ruissen Ruissen a interpellé la Commission européenne, soulevant deux points: les certificats de la Grande Mosquée de Paris sont plus chers que ceux des organismes certificateurs concurrents, et les exportateurs européens peuvent s’estimer discriminés dans la mesure où ce monopole du certificateur français ne s’impose pas aux produits provenant d’autres régions du monde. Le Commissaire au Commerce, Valdis Dombrovskis, a confirmé que cette mesure «entrave considérablement les échanges avec l’UE», ajoutant que «cette restriction s’ajoute à d’autres obstacles importants à l’accès au marché pour les exportateurs de l’UE. La Commission ne ménage aucun effort pour œuvrer à l’amélioration des relations commerciales et d’investissement avec l’Algérie, qui restent globalement très difficiles.»
Des propos qui font écho à la procédure de règlement des conflits déclenchée par l’UE contre Alger en juin; un ton qui tranche avec celui de la «mise au point» publiée par l’opérateur français en septembre dernier: «Depuis le mois de juin 2023, la Grande Mosquée de Paris a en effet l’honneur de mettre en œuvre un mandat exclusif délivré par l’État algérien pour la certification Halal des produits en provenance de l’Union européenne, suivant la décision souveraine du président de la République, Monsieur Abdelmadjid Tebboune. (…) Elle opère en parfaite conformité avec les droits français, algérien et européen, y compris en matière de droits de la concurrence.»
Quant à la réponse de l’Algérie? La meilleure défense restant assurément l’attaque, Alger a demandé à Bruxelles de revoir en 2025 l’accord d’association, le jugeant insuffisamment équitable entre les deux parties! On regrettera qu’une fois de plus, la Grande Mosquée de Paris serve de bras armé à l’exécutif algérien. Un comble pour ce lieu symbolique, premier lieu de culte musulman bâti en France, par des artisans marocains, et dont la paternité revient au sultan Moulay Youssef et au maréchal Lyautey.