C’est généralement dans une situation de crise politique aigüe, comme la mise en minorité du gouvernement ou l’empêchement, voire la démission, du président de la République, que des élections anticipées sont convoquées. Certes, en Algérie, le temps politique est loin d’être au beau fixe, mais aucune raison, ni juridique ni politique, n’a été avancée pour justifier l’annonce, ce jeudi 21 mars, d’une présidentielle anticipée en Algérie.
Selon un communiqué publié par la présidence algérienne, Abdelmadjid Tebboune «a présidé une réunion consacrée à l’examen des préparatifs de la prochaine élection présidentielle», et à l’issue de cette réunion, «il a été décidé de tenir une élection présidentielle anticipée le samedi 7 septembre 2024 pour laquelle le collège électoral sera convoqué le 8 juin 2024».
Une réunion hétéroclite
Le communiqué cite nommément les huit personnalités présentes, aux côtés du président, à cette réunion hétéroclite, à savoir le chef d’état-major de l’armée, les présidents des deux chambres du Parlement, celui de la Cour constitutionnelle, le Premier ministre, le directeur du cabinet du président, le ministre de l’Intérieur et le président de l’Autorité électorale nationale indépendante. Or, à part Abdelmadjid Tebboune, ces personnalités n’ont aucun droit de regard sur la décision de convoquer le collège électoral ou de décider d’organiser des élections anticipées.
Ces prérogatives, introduites par la constitution amendée de 2020, votée alors que Tebboune était entre la vie et la mort dans un hôpital en Allemagne, ont été attribuées au seul président de la République. L’article 91 de cette nouvelle constitution a en effet introduit deux amendements sur la présidentielle anticipée, en vertu desquels le président «convoque le corps électoral» (alinéa 10) et «peut décider d’organiser des élections présidentielles anticipées» (alinéa 10).
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Auparavant, le président ne pouvait décider que d’élections législatives anticipées. Prendre la décision d’avancer de trois mois la présidentielle, sans en donner la moindre justification, montre clairement le degré de mépris du régime algérien à l’égard du peuple algérien. Donc, l’échéance des élections présidentielles ne sera pas respectée. Pourquoi? «Cela ne vous regarde pas. Circulez, il n’y a rien à voir», semble répondre Abdelmadjid Tebboune au peuple algérien.
La «contre-khoutta» tebbounienne
Certains observateurs ont avancé ces dernières semaines plusieurs hypothèses soutenant que la présidentielle algérienne, initialement prévue en décembre 2024, n’aura pas lieu dans les délais et sera reportée sine die. L’hypothèse la plus folle dans ce patchwork de suppositions laissait même entendre que la junte militaire était prête à commettre l’irréparable, en déclenchant par exemple des accrochages frontaliers avec l’armée marocaine, pour s’offrir un alibi au report de la présidentielle, en attendant de trouver le remplaçant d’un Tebboune qu’un clan puissant au sein de l’armée ne souhaite pas voir rempiler pour un second mandat, car il donne, tant en interne qu’à l’étranger, l’image d’un président rongé jusqu’à la moelle par la maladie et l’incompétence, et qui a cumulé une série d’échecs sur le plan diplomatique qui a isolé l’Algérie comme jamais auparavant.
La courte vidéo qui immortalise «la réunion consacrée à l’examen des préparatifs de la prochaine élection présidentielle» montre d’ailleurs un Saïd Chengriha peu à l’aise. Il affiche même une certaine nervosité, comme en atteste le stylo qu’il tournait entre les doigts. Nombre de psychologues spécialistes du langage corporel assimilent ce geste à l’appui sur une gâchette imaginaire…
En tout état de cause, décréter des élections anticipées est la contre-khoutta (riposte au plan d’autrui) ourdie par Tebboune et son spin doctor, Boualem Boualem, pour parer à une manœuvre hostile. À défaut de pouvoir dire avec précision laquelle, tout indique que cette décision a été prise à la va-vite, comme s’il y avait péril en la demeure.
Car le 27 février dernier, la très officielle agence de presse algérienne APS réagissait aux rumeurs sur le report de la présidentielle en proclamant dans des termes qui se voulaient péremptoires que «les élections auront lieu en temps, tel que prévu par la Constitution et ce par respect pour la Constitution et pour le peuple algérien, seul détenteur de la souveraineté». Que s’est-il passé entre le 27 février et le 21 mars pour qu’Abdelmadjid Tebboune change de fusil d’épaule et sorte de son chapeau des élections anticipées?
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D’abord, il y a ce communiqué de l’Élysée daté du 11 mars dernier, à l’issue d’un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune. Ce communiqué avait un seul objectif: annoncer que le président algérien effectuera une visite d’État en France «fin septembre, début octobre». Les dates de cette visite avaient suscité plusieurs réactions sur les réseaux sociaux en Algérie, parce qu’elles auraient coïncidé avec la campagne des élections présidentielles si celles-ci s’étaient tenues le 19 décembre. Les tenants de la Badissia Novembaria reprochaient à Tebboune de lancer sa campagne électorale depuis la France, l’ancien colonisateur objet d’une rente mémorielle pérenne.
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Avec l’annonce des élections anticipées, la date de la visite d’Abdelmadjid Tebboune en France prend une autre signification. Il apparait très probable que le président français a été mis au courant par son homologue algérien de sa décision d’avancer les élections. Certaines voix diront même que la nouvelle date des élections en Algérie est consubstantielle à la visite de Tebboune en France. C’est en président fraîchement réélu que ce dernier espère donc réserver à la France son premier déplacement à l’étranger. Inchallah!
La date de la visite du président algérien en France rend d’ailleurs caduc le faux suspense qu’il espère maintenir sur son intention à se présenter pour un deuxième mandat. Non seulement il se présente, mais il a déjà établi son agenda de président sûr de rempiler pour un deuxième mandat. D’ailleurs, les candidats à la présidentielle algérienne ne se bousculent pas au portillon. À ce jour, seule Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le progrès et la citoyenneté (UCP), a annoncé sa candidature.
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La deuxième hypothèse est liée à un clan au sein de l’armée qui n’est pas favorable à un deuxième mandat de Tebboune. Le président algérien sait que s’il n’est pas réélu, c’est la prison qui l’attend en compagnie de ses trois fils. Au mois de mai de l’année dernière, des écoutes téléphoniques, ordonnées par la présidence algérienne, ont ciblé les principaux généraux de l’armée.
Les enquêteurs de la Direction centrale de la sécurité de l’armée ont établi que l’ex-officier de gendarmerie et informaticien Chawki Boukhazani, patron de Mobilis, principal opérateur de téléphonie mobile en Algérie, espionnait les téléphones de Saïd Chengriha et ceux d’autres généraux pour le compte de la présidence algérienne. L’homme qui a orchestré et ordonné ces écoutes téléphoniques est Boualem Boualem, chef du cabinet d’Abdelmadjid Tebboune, qui était justement présent à la réunion précédant l’annonce de la tenue anticipée de l’élection présidentielle.
En matière d’écoutes téléphoniques, Boualem Boualem connaît bien son sujet. Il a été effectivement le premier responsable, du temps du défunt Gaïd Salah, des écoutes téléphoniques en Algérie. C’est lui qui envoyait les rapports liés à l’écoute des téléphones de responsables algériens et leurs proches à l’ancien chef d’état-major. Il a visiblement conservé intactes ses anciennes pratiques, comme en atteste le scandale des écoutes de Chengriha et d’autres généraux. Une question se pose dès lors: qu’est-ce que Boualem Boualem a appris de si important pour que Tebboune décide d’anticiper les élections? Les prochains jours, qui ne seront pas apaisés en Algérie, nous l’apprendront.