Présidentielle algérienne: cette ignoble et ordurière «précision» de l’agence officielle APS

Abdelmadjid Tebboune, alors candidat, lors de l'élection présidentielle de décembre 2019.

Abdelmadjid Tebboune, alors candidat, lors de l'élection présidentielle algérienne de décembre 2019.. AFP or licensors

Dans un exercice de style pour le moins indigne d’une agence officielle d’information d’un État normalement constitué, l’agence algérienne APS livre une dépêche d’information qui fera date en matière de presse de caniveau, et office de record en matière d’insultes et d’atteinte aux personnes et à leur intelligence. L’objet, et il fallait bien chercher pour le trouver: la date de l’élection présidentielle. Du vilain Makhzen aux rares voix algériennes dissonantes, tout le monde y passe pour l’occasion. Lecture.

Le 28/02/2024 à 09h53

C’est un secret de polichinelle. Totalement inféodés à un régime écrasant, les médias algériens ont, tous, depuis l’arrivée au pouvoir du duo Chengriha-Tebboune, pour seul et unique rôle de servir de caisse de résonance au régime. Loin, très loin, tant des canons de la profession que de la réalité d’un pays qui se noie dans ses anachronismes et son déphasage par rapport au monde d’aujourd’hui. Les rares dissonances qui peuvent se laisser entendre, lire ou voir, c’est quand les guerres intestines, nombreuses, au sein de ce même bloc qu’est le pouvoir, éclataient au grand jour. À l’arrivée, les médias algériens nous ont longtemps habitués à ne servir qu’une propagande froide, faite de fausses victoires diplomatiques, de réalisations peu ou pas réalisables et d’effets d’annonce à grands coups de superlatifs, sans lendemain aucun. Bref, nous sommes en plein dans une dystopie totalitaire.

Mais que dire quand c’est l’agence de presse officielle, APS, censée théoriquement s’en tenir aux seuls faits et à une certaine réserve éditoriale, et supposée lisser un tant soit peu l’image et le discours du régime, bascule la tête devant dans la bassesse et la presse de caniveau. Exemple en a été servi dans une «dépêche» orpheline du b.a.-ba du métier (le fameux qui a fait quoi, quand, où et comment), publiée le mardi 27 février, et qui s’apparente plus à un «warning» du ministère de la Vérité dans le célèbre roman «1984» de George Orwell. Terrifiant.

Ainsi donc, la mouture nous apprend que «toute honte bue, la machine de propagande du Makhzen (encore lui) se surpasse en fake news sur l’Algérie et les élections algériennes». Vous avez compris quelque chose? Plus loin, elle nous indique que «cela» a commencé par «leur» caniche makhzino-sioniste de Paris (plus limpide comme concept et groupement d’intérêts, tu meurs!). Qu’a-t-il fait, l’a priori gentil caniche? Ben, on ne saura pas, si ce n’est que «cela se développe au niveau de certaines radios françaises, dont la reconnaissance du ventre et du bas-ventre au Makhzen est avérée depuis longtemps». De mieux en mieux, et les créateurs du film «Inception» doivent prendre des notes. Cela étant, il est vrai qu’on mange très bien au Maroc.

Tout d’un coup, soudain, APS nous interpelle. On ne saura pas pourquoi à ce stade, mais foutu pour foutu, de quoi s’agit-il? «Messieurs du Makhzen: un conseil d’ami qui vous veut du bien! Tournez votre regard plutôt vers le Palais royal au lieu d’El Mouradia». D’accord, mais pourquoi? «Les élections (lesquelles? NDLR) auront lieu en temps, tel que prévu par la Constitution et ce par respect pour la Constitution et pour le peuple algérien seul détenteur de la souveraineté». Aaaahhhh, c’est donc «cela». Et il ne fallait surtout pas rater le mot de la fin: «À bon entendeur! Salut!!!». Une tuerie, tellement elle est belle, la «chute», reprise à l’unisson par tous médias algériens, tant publics que privés.

Seuls des titres comme Le Matin d’Algérie, dont les journalistes opèrent depuis l’étranger, se sont arrêtés sur le langage utilisé, «inédit pour ne pas dire choquant». «On sait les tombereaux de mensonges échangés, mais de là à utiliser l’agence officielle étatique ainsi… Décidément, il y a quelque chose qui ne tourne pas rond en haut lieu», conclut le média.

Mais que cache un tel déferlement «officiel» de haine, de mépris et de bêtise, tout juste digne d’un allumé tapi au fin fond du Colorado ou de Tora Bora? Si l’APS perd à ce point la raison, ses moyens et ses nerfs, c’est parce que la date de l’élection présidentielle, prévue en décembre prochain, doit-on préciser, est remise en question. Loin d’avoir «commencé» à faire circuler ce doute, le journaliste en exil, directeur d’Algérie Part et youtubeur connu, Abdou Semmar, n’a fait qu’effectuer la somme de tous ceux, et non des moindres, qui se montrent sceptiques quant à sa tenue «en temps». À ce propos, le «caniche makhzino-sioniste de Paris», c’est bien lui. Et le moins à dire est qu’il en est consterné, qualifiant les propos de «bassesse inopérante».

Les «radios françaises» ont, elles, un nom: Radio France internationale (RFI) qui écrivait, le 19 février déjà, qu’à moins de dix mois de la présidentielle algérienne, «le climat politique reste incertain et les médias algériens n’évoquent pas le sujet. Pas de date précise pour le scrutin et le pouvoir algérien entretient le flou sur ces élections. Il n’y a ni débat ni déclarations». Mais au lieu de la citer nommément, le régime préfère fuir en avant et s’attaquer à «l’ennemi classique».

S’il confirme être l’initiateur des informations sur un éventuel report de la présidentielle, et ce, depuis le 19 février 2024, Abdou Semmar précise dans une réaction sur sa chaîne YouTube qu’il n’a fait que porter les doutes exprimés par nombre d’acteurs politiques. À commencer par Abdelkader Bengrina, l’imberbe et hâbleur président des barbus du pouvoir, soit le Mouvement national El Bina, qui a émis l’hypothèse d’un report des élections. Ou encore Louisa Hannoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs, qui a fait part de la difficulté d’organiser des élections dans le contexte actuel. S’y ajoute Abderrazak Mokri, dirigeant plus ou moins islamiste du parti Mouvement pour la société et la paix, dont il est l’ancien président. «C’est comme si le sujet relevait du tabou», dénonçait, pour sa part, Zoubida Assoul, présidente de l’Union pour le changement et le progrès (UCP). «À aujourd’hui, pas un mot d’ailleurs n’a été communiqué par le pouvoir algérien sur cette élection et les conditions dans lesquelles elle devrait se dérouler. On ne sait même pas si Tebboune va être candidat pour un deuxième mandat. Rien n’a été dit, rien n’a été fait», souligne Abdou Semmar.

«Cela prouve que nous avons mis le doigt sur l’opacité du régime algérien en montrant comment des officines et des lobbies au sein du pouvoir algérien sont en train de militer pour ce report, entraînant le pays vers un scénario catastrophe et prolongeant de manière illégale le mandat présidentiel actuel d’Abdelmadjid Tebboune», décrypte-t-il. Il persiste et signe: depuis fin 2023, tant l’entourage du président qu’une partie de l’appareil militaire et sécuritaire algérien envisagent sérieusement un report du scrutin présidentiel. Le tout sous prétexte de tensions internes et externes, l’Algérie s’étant arrangée pour s’attirer l’animosité tant de l’Occident que des pays du Sahel. Sans parler du «grand Satan»: le Makhzen et ses alliés émiratis, israéliens… Mais alors que Tebboune doit rendre le tablier au plus tard le 19 décembre prochain, et que la campagne électorale doit démarrer le 1er novembre, il n’y a actuellement rien de nouveau sous le soleil algérois.

Mais aux arguments et autres précisions nécessaires dans pareilles circonstances, l’APS préfère un laconique maintien de la présidentielle, précédé par une quantité rarement égalée d’injures dans une «dépêche» officielle, notamment contre un omnipotent Makhzen qui manipule la cinquième colonne algérienne et les médias français. Franchement, c’est trop d’honneur. À moins de six mois de la convocation du corps électoral, APS aurait pu se contenter d’un démenti formel, mais qui peut le plus peut le moins, et tant qu’à faire, sortons la grosse artillerie et tirons à l’aveugle. C’est bon pour les nerfs. «Je n’ai jamais vu une agence officielle, même dans les pays les plus arriérés de la planète, agir de la sorte. Un État qui mobilise toutes ses ressources contre un journaliste en le traitant de caniche, voilà qui est extrêmement grave», commente le concerné. En l’occurrence, c’est tout l’État algérien qui s’en trouve humilié et mis plus bas que terre.

Plus sérieusement, le régime algérien a perdu le contrôle et patauge dans l’irrationnel. Quand un pouvoir devient irrationnel, il faut s’attendre à tout de sa part. Y compris les agissements les plus improbables. Le Maroc doit s’y préparer.

Par Tarik Qattab
Le 28/02/2024 à 09h53