Algérie: le sommet de la Ligue arabe tourne à la Bérézina

De gauche à droite: Saïd Chengriha, chef de l'armée algérienne, le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra.

De gauche à droite: Saïd Chengriha, chef de l'armée algérienne, le président algérien Abdelmadjid Tebboune et son ministre des Affaires étrangères Ramtane Lamamra. . Le360

«Aujourd’hui, si ce sommet se tient, c’est déjà un exploit. Si tout le monde est là, c’est une performance. Et s’il y a une participation de haut niveau, c’est un miracle!», confie à Le360 un diplomate arabe qui résume parfaitement la débâcle de la diplomatie de la junte algérienne.

Le 07/09/2022 à 08h00

Le sommet du siècle qui allait changer la donne dans le monde arabe, couronner le retour de l’Algérie sur la scène internationale, libérer la Palestine, stigmatiser les pays arabes qui ont normalisé leurs relations diplomatiques avec Israël, créer une dynamique favorable au Polisario et marquer le grand retour de la Syrie… Eh bien! ce sommet sans pareil s'est rapetissé comme une peau de chagrin. Oubliées les prétentions pour révolutionner le monde arabe, jeté dans une poubelle le terrible front contre les pays normalisateurs avec «l’entité sioniste», au diable le Polisario! Quant à la Syrie, elle attendra un autre sommet dans un pays moins hâbleur pour reprendre son siège au sein de la Ligue arabe. Tous ces slogans, chantés par le président algérien et son ministre des Affaires étrangères, se sont écroulés comme un château de cartes à l’épreuve de la réalité.

Réduit à sa vraie taille dans le monde arabe, le régime algérien a ravalé ses ambitions, rasé les murs et affiché son profil le plus bas. Aujourd’hui, «tout le combat du régime algérien se concentre sur qui vient et qui ne vient pas. Que ce soit le président algérien ou son chef de la diplomatie, ils harcèlent les Etats membres influents dans la Ligue arabe pour qu’ils soient présents à ce rendez-vous, tout en les conjurant de ne pas s’y faire sous-représenter», confie à Le360 un diplomate arabe accrédité à Rabat. Et de préciser: «Aujourd’hui, si ce sommet se tient, c’est déjà un exploit. Si tout le monde est là, c’est une performance. Et s’il y a une participation de haut niveau, c’est un miracle!»

L’organisation de ce sommet est emblématique de la façon dont tout –ou presque– est dirigé en Algérie. L’appareil politico-militaire commence avec de grandes annonces, vend des illusions, mais in fine, la réalité le conduit toujours à des dispositions diamétralement opposées à son agenda initial. Et il finit par des supplications ardentes pour éviter une humiliation. C’est ce qu’a fait justement le mardi 6 septembre 2022 Ramtane Lamamra, en marge de la 158ème session du Conseil de la Ligue des Etats arabes au niveau des ministres des Affaires étrangères, tenue au Caire. En qualité d’émissaire de Tebboune, il n’a cessé d’implorer les chefs d’Etat de faire le déplacement à Alger. Et il n’est pas sûr qu’ils lui fassent la charité de leur présence en Algérie. A ce sujet, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a botté en touche quand l’obséquieux Lamamra lui a soumis «la lettre d’invitation» au sommet incertain, adressée par Abdelmadjid Tebboune. Le chef de l’Etat égyptien a répondu qu’il allait participer aux efforts du président algérien pour la réussite du sommet, mais sans se hasarder à confirmer sa présence à Alger. Ce qui constitue, selon tous les observateurs avisés, une fin de non-recevoir stricte à l’invitation de Tebboune.

Il convient de rappeler que ce sommet incombe à l’Algérie par la seule grâce de la rotation alphabétique. Après le voisin de l'est, c’est Djibouti qui va accueillir le sommet de la Ligue arabe. Et il ne fait aucun doute que cette édition-là sera plus réussie que celle de l’Algérie avec, assurément, une bien meilleure représentativité au niveau des chefs d’Etat.

Pour avoir une idée précise et factuelle de l’écart entre les annonces initiales du régime algérien et son implacable rappel à la réalité, voici la chronologie de l’agenda assigné par la junte au sommet, avant qu’elle ne se lance dans des implorations à la seule fin d’en sauver la tenue:

- Novembre 2021, le chef de la diplomatie algérienne, Ramtane Lamamra, fait un discours devant un parterre de diplomates algériens. Il a l’allure du conquérant et le verbe haut. Il déclare lors de la fin des travaux du colloque, qui réunit les chefs des missions diplomatiques et consulaires algériens, que «le sommet arabe prochain sera le sommet de la solidarité interarabe et le soutien de la cause palestinienne et du peuple sahraoui». Cette déclaration est relayée tambour battant par les médias de la junte, dont le quotidien L’Expression.

- Lors de cette même rencontre, Lamamra annonce de façon catégorique: «La Syrie retrouvera sa place dans la Ligue arabe en tant qu'État membre.»

- Le 15 décembre 2021, le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, évoque le sommet de la Ligue arabe et affirme à l’issue d’une visite à Tunis, lors d’une conférence de presse: «Nous cherchons à réintégrer la Syrie à la Ligue arabe.»

- Dans la presse algérienne, durant le premier semestre 2022, le retour de la Syrie à la Ligue arabe est haussé au rang d’enjeu majeur du prochain sommet de la Ligue arabe. «Le sommet de la Ligue arabe qui se tient à Alger devrait être celui du retour de la Syrie», peut-on lire un peu partout.

Voici que la Syrie a disparu de l’agenda de la junte algérienne. Dans un communiqué publié le dimanche 4 septembre 2022, le ministère algérien des Affaires étrangères a annoncé que «le chef de la diplomatie syrienne a indiqué que son pays préfère que la question de la reprise de son siège au sein de la Ligue des Etats arabes lors du sommet d'Alger ne soit pas soulevée, par souci de contribuer à la consolidation de l’unité des rangs arabes face aux défis imposés par les développements actuels au double plan régional et international». En clair, le régime algérien renonce à son ultime highlight, dans l’espoir de sauver la tenue d’un sommet improbable. Le tout à moins de deux mois! A-t-on déjà vu un sommet de la Ligue arabe aussi incertain dans un autre pays, dans un tel délai avant la date de son ouverture?

L’amplification par la junte algérienne des annonces préalables au sujet de l’organisation du sommet de la Ligue arabe rappelle ce qui a été dit et écrit sur l’ancien chef de la diplomatie algérienne, Sabri Boukadoum, proposé à la tête de la mission onusienne de la Libye. On a lu dans les médias algériens que c’est Boukadoum qui sera le prochain chef de cette mission, que c’était acquis, que c’était le choix du secrétaire général de l’ONU, etc. Et puis, le ministère algérien des Affaires étrangères nous a surpris samedi 3 septembre avec un communiqué où il a affirmé que «l’Algérie accueille avec satisfaction la nouvelle de la nomination du Professeur Abdoulaye Bathily en tant que Représentant Spécial du Secrétaire Général de l’ONU pour la Libye et Chef de la Mission d’Appui des Nations Unies en Libye (MANUL)».

Le régime algérien a été contraint de saluer cette nomination, tandis que la presse algérienne, quasi-totalement inféodée à la junte, a choisi de faire l’impasse sur le sujet. Comment vont réagir le régime algérien et sa presse quand la quasi-totalité des chefs d’Etat qui comptent dans le monde arabe boycotteront le sommet de la Ligue arabe, possiblement organisé à Alger? Probablement en regardant ailleurs, comme pour le cas du fiasco de la désignation de Boukadoum à la tête de la mission onusienne en Libye. Ainsi va l’Algérie.

Par Tarik Qattab
Le 07/09/2022 à 08h00