Le début de l’année a été marqué par une virulente campagne d’appels à la haine et à la violence à travers la France, portée sur les réseaux sociaux par des influenceurs algériens installés en France et fort probablement orchestrée par les autorités algériennes. La chose est d’ailleurs confirmée, selon France 2, dans une note confidentielle des renseignements territoriaux français qui révèlent «l’existence d’une stratégie d’influence développée par Alger auprès de sa diaspora, qui s’appuie sur les réseaux sociaux».
Si l’instrumentalisation des réseaux sociaux par le régime d’Alger n’est plus un secret pour personne, ce qui était encore méconnu, tout du moins du grand public, révèle l’enquête, c’est la manière dont les autorités du pays font pression sur leurs opposants réfugiés dans l’Hexagone et manœuvrent dans l’ombre pour les neutraliser.
Pour en savoir plus, l’équipe de la deuxième chaîne du service public a rencontré des opposants au régime d’Alger, réfugiés en France, à l’instar du caricaturiste algérien Ghilas Aïnouche qui a accepté de témoigner à visage découvert.
Des menaces et des promesses
Face aux caméras du France 2, le caricaturiste de 36 ans, condamné par contumace à dix ans de prison dans son pays pour «atteinte à la personne du président de la République algérienne» en raison de ses dessins, raconte les pressions exercées sur lui mais aussi les techniques d’approche d’agents du régime d’Alger.
Leur but, convaincre les opposants algériens en France, rassemblés sous la bannière du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), de prêter allégeance au régime, de livrer des informations sur les autres militants qu’ils côtoient contre la promesse de voir les charges qui pèsent contre eux en Algérie abandonnées. De leur côté, les autorités françaises confirment le procédé employé et affirment qu’«Alger déploie des moyens substantiels pour récupérer ses opposants. Les procédés, on les connait. On fait savoir qu’on sait, mais ça n’est pas toujours suffisant».
Si les dessins de Ghilas Aïnouche lui valent toujours des menaces des partisans du régime, il explique aussi être régulièrement contacté par les autorités algériennes. «On a déjà essayé de m’approcher pour faire sauter les dix ans de prison. On m’a appelé, mais je n’ai pas voulu me rendre à ce rendez-vous. J’ai refusé, assure-t-il, je pense qu’aucun opposant n’a échappé aux tentatives d’approche du régime».
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Les journalistes sont ensuite allés à la rencontre d’autres opposants membres du MAK, classé organisation terroriste par Alger pour «atteinte à l’unité nationale». Dans un local qui leur sert de QG, trois membres de ce mouvement pacifique expliquent les tactiques d’approche des autorités algériennes. Ainsi, l’un d’eux révèle avoir été contacté via les réseaux sociaux par un homme disant parler au nom de l’Etat algérien avec cette promesse: «Si tu veux rentrer, on peut t’aider. Ta condamnation sera effacée».
Pour prouver leurs dires, ceux-ci acceptent de faire écouter aux journalistes leur rendez-vous téléphonique avec un certain Mourad A., qui affirme travailler au ministère de l’Intérieur algérien. Dans le cadre de l’échange, l’un des opposants demande: «Pourquoi l’Algérie accepte-t-elle qu’on revienne alors qu’on a quand même trahi, qu’on est classifiés comme terroristes». Mourad A. se montre rassurant: «L’Algérie n’abandonne jamais ses enfants».
Vendre ses camarades et prêter allégeance au régime
Mais la suite de cette procédure de reconnexion avec ces brebis égarées prend une tournure moins amicale. C’est en dehors du champ des caméras qu’elle se raconte, basée sur l’enregistrement audio d’un opposant convoqué au «bureau de sécurité», un département officieux des consulats d’Algérie en France, rattaché aux services de renseignement algériens.
L’opposant approché de façon amicale dans un premier temps se retrouve acculé dans un piège qui se referme littéralement sur lui. «Cher monsieur, mettez-vous à l’aise», lui suggère l’un de ses interlocuteurs, qui se présente comme un haut cadre du consulat, flanqué de deux hommes en civil, en l’enjoignant: «Ne soyez pas stressé!»
Très vite, l’échange se mue en interrogatoire dont France 2 retransmet les questions: «Qui traîne avec vous? Quand avez-vous rejoint le mouvement? En tant que militant, vous étiez en charge de quoi? Qui a l’ascendant? Qui sont tes amis les plus proches? Est-ce que tu sens qu’ils sont récupérables?» Mis sous pression, l’opposant au régime est prié de continuer lorsqu’il hésite et d’en «donner plus» sur l’organisation et sur ses membres.
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«Il faut que tu collabores», lui assènent ses interlocuteurs, qui quittent régulièrement la pièce pour revenir avec toujours plus de documents prouvant qu’il est non seulement fiché par les services algériens mais que ses interlocuteurs savent tout de lui et de ses proches. «Tous ces noms, on les a, on connait tout le monde. Ce qui nous intéresse, c’est que tu t’engages à combattre ces gens», lui dit-on avant de lui lancer un ultimatum: «Je vais te donner le papier, tu vas le signer».
Lui est alors tendue une lettre de renonciation et d’allégeance dans laquelle il est écrit noir sur blanc qu’il s’engage «à cesser toute activité subversive ou hostile susceptible de porter atteinte aux intérêts de [son] pays, l’Algérie, (...) à dévoiler tous les noms et plans de [son] mouvement, (...) à collaborer avec les services de renseignements algériens».
Mais avant de signer le document, celui-ci doit également préciser qu’il «certifie n’avoir subi aucune sorte de pression». En contrepartie, il se voit alors promettre qu’il pourra rentrer en Algérie sans crainte de poursuites.
Si le consulat d’Algérie n’a pas donné suite aux appels des journalistes de France 2, ce n’est pas le cas de Mourad A., l’agent du ministère de l’intérieur algérien contacté au début du reportage par les trois opposants. Interrogé sur ces procédés, celui-ci affirme que «l’Algérie a initié une procédure pour tout Algérien égaré qui veut rentrer dans son pays».
«Mais qu’est-ce qu’un Algérien égaré?», lui est-il demandé.
La réponse est sans détour et confirme la stratégie du régime pour garder la mainmise sur sa diaspora afin de la retourner contre son pays d’accueil, la France, pour asseoir ses propres intérêts: «Un Algérien qui se considère comme algérien est aux côtés de son pays et doit défendre l’Algérie face à la France».