«Love is blind habibi» est la nouvelle émission phénomène de Netflix. Version arabe de l’émission américaine «Love is blind», cette téléréalité repose sur le concept de blind dating. Pendant dix jours, quinze couples vont se rencontrer dans des «pods» (capsules) sans jamais se voir. Le but étant de tester la force de leurs sentiments, de prouver si oui ou non l’amour est aveugle en concluant cette période de blind dating par une demande en mariage. Fiancés, les couples convolent ensuite dans un resort de luxe au cadre idyllique pour y passer un simulacre de lune de miel, version halal, avec option chambres séparées, cocktails sans alcool et respect total des traditions et des coutumes familiales. Puis vient l’épreuve du retour à la real life, à Dubaï où vivent tous les candidats, pour mettre à l’épreuve du quotidien leur relation et concrétiser ou pas leurs amours naissants par un (vrai) mariage.
La version arabe de cette émission est aussi surprenante, que drôle, addictive mais surtout riche en enseignement à bien des égards quant aux sociétés arabes. Aussi efficace, mais beaucoup plus distrayante qu’une étude sociologique, l’émission explore les différentes facettes du couple arabe, dans une société moderne où la culture, la famille et les traditions sont des valeurs sacrées, mais où hommes et femmes ont du mal à trouver un terrain d’entente dès lors qu’il s’agit de faire vie commune.
Plusieurs constats ressortent de cette émission dont la version arabe est de loin la plus croustillante grâce, notamment, à une galerie de candidats hauts en couleur. Parmi eux, le jeune Chafik, séducteur et fêtard, libanais francophone ayant vécu en Afrique de l’Ouest qui à défaut d’être vraiment cool ne parvient pas à maîtriser ses accès de colère et de jalousie. Le dentiste syrien Ammar, un bellâtre à la plastique parfaite, bien sous tous rapports, amoureux at first sight, poète dans l’âme qui clame ses sentiments en chantant Oum Kelthoum, mais sacré freak control qui entend diriger son couple à sa manière, dans le respect d’une vision conservatrice de la société. Il y a aussi Simo, le Marocain de Casablanca, qui jamais ne se départit de sa darija mixée d’anglais et de français, cocktail explosif de cynisme, d’arrogance, d’humour cinglant, de méchanceté, mais de respect total des traditions, qui cherche chaussure à son pied mais se montre d’une intransigeance absolue et ne supporte aucune entorse à ses règles…
Premier constat contrasté, le conservatisme moral dans lequel s’inscrivent les candidats masculins qui affichent dans le même temps tatouages, botox, bronzage parfait, sourire à facettes ultra bright, cheveux lissés, sourcils épilés, jambes moulées dans un slim, chemise ouverte sur une chaine en or qui brille… Voilà pour l’archétype de ces mâles alpha qui cherchent une femme à épouser très vite, après une vie consacrée au travail et aux plaisirs du célibat. Ils viennent de Syrie, d’Irak, du Maroc, du Liban, d’Égypte, de Jordanie, ils sont hommes d’affaires, dentiste, DJ, riches héritiers et leurs exigences sont «simples»: une femme belle, douce, gentille, facile à vivre, drôle (mais avec son mari), sympathique (mais pas avec les autres), sachant se tenir en société (autrement dit ne sociabilisant pas avec tout le monde), apte à faire des enfants, respectueuse de sa famille et de sa future belle-famille (à qui revient le dernier mot pour le mariage), attachée aux valeurs arabo-musulmanes, qui peut travailler si elle veut, mais qui peut tout autant se consacrer à son rôle de maîtresse de maison. Voilà pour le socle fondamental du couple d’un point de vue masculin.
D’un point de vue féminin, on ne voit pas les choses de la même manière. Première surprise de l’émission, les candidates aspirantes au mariage ne sont pas des âmes en peine qui n’ont jamais eu l’occasion de se marier. Ce sont au contraire des femmes très occupées, qui ont favorisé leur carrière à leurs relations amoureuses, et se posent la question, arrivées pour certaines à la trentaine, de la nécessité d’un mariage, notamment pour faire des enfants.
Féministes, elles le sont mais chacune à sa manière, à l’exception de Nour, la candidate libanaise, mannequin, qui annonce la couleur dès le départ en déclarant son aversion pour le féminisme, cette supercherie qui consiste à convaincre les femmes qu’il faut qu’elles travaillent pour subvenir à leurs besoins, être autonomes et émancipées. Une idiotie pour la jeune femme qui cherche un mari provider qui jouera pleinement son rôle d’homme, à condition qu’il en ait les moyens financiers. Cela va de soi.
Car oui, l’amour a beau être aveugle, il devient très clairvoyant dès lors qu’il est question d’argent. C’est le cas pour cette autre pépite féminine de l’émission, la candidate marocaine, Hajar, qui vit à Dubaï où sa vie consiste à profiter des plaisirs de la vie. Pour elle pas question de travailler. Ce à quoi elle aspire, c’est un mari riche et suffisamment ouvert d’esprit, conciliant, pour lui passer ses caprices et assouvir toutes ses envies. Quitte à accepter qu’elle s’offre un dernier moment dans les bras d’un autre pour son enterrement de vie de jeune fille, ou qu’elle veuille continuer à sortir en boîte avec ses copines une fois mariée.
Mais s’il est un constat aussi flagrant qu’alarmant à tirer de ce programme, c’est que les femmes doivent renoncer à la chose qui leur importe le plus pour pouvoir être candidate au mariage, qu’il s’agisse d’une passion, une carrière, une relation, une habitude… Ainsi, dans le cas de la candidate irakienne, Safae, la jeune femme de 38 ans a tout le mal du monde à faire comprendre à son prétendant qu’elle adore son travail, et qu’elle n’a pas l’intention de mettre un terme à sa carrière, quand bien même cela implique de nombreux déplacements. La tunisienne Karma doit quant à elle renoncer à sa passion pour la danse et le spectacle si elle veut voir se concrétiser sa relation amoureuse. Dounia, la maroco-saoudienne doit, elle, renoncer à sa relation fusionnelle avec sa mère. Une idée de renoncement qui s’applique à la femme, mais jamais à l’homme.
Dans «Love is blind Habibi», loin des clichés, se dévoile une autre facette de la complexité de la société arabe, des rapports entre hommes et femmes, tiraillés entre modernité et traditions, occidentalisation et profond attachement à une culture orientale et musulmane.