Il est de tradition que le Roi adresse au Chef du gouvernement une lettre à l’occasion de chaque opération de recensement de la population. Donnant le signal de départ de cette opération d’envergure, elle trace le cadre du travail à réaliser, détermine le rôle des différents intervenants et indique les attentes du pays. C’est un moment important dans la vie de la Nation, par sa périodicité, car n’intervenant que tous les dix ans, et par le sujet abordé: les résultats du recensement et leur analyse impactent automatiquement l’élaboration des politiques publiques de la décennie suivante.
Les hasards du calendrier faisant bien les choses, la lettre royale est venue après une période marquée par le développement de mésententes récurrentes sur l’interprétation de données statistiques entre le gouvernement et le Haut Commissariat au plan, notamment au sujet des chiffres de l’emploi. Mésententes qui, si elles devaient durer, risquaient d’entamer la crédibilité de l’organisme en charge des statistiques du pays à l’intérieur et aussi à l’étranger. Chose qui, cela va de soi, n’est dans l’intérêt de personne.
Inquiets des conséquences de ces échanges, parfois tendus, plusieurs observateurs politiques espéraient une orientation royale sur le sujet et, effectivement, ils n’ont pas été déçus. Contrairement à sa précédente de 2014, la lettre royale de 2024 indique que le rôle du traitement et de l’analyse des résultats du recensement revient au Haut Commissariat au plan. Si l’expression est permise dans ce contexte, on dira que «ce qui va sans dire va mieux en le disant».
L’enjeu politique est important. Tous les pays qui développent des ambitions de gouvernance démocratique ont besoin d’institutions publiques crédibles de collecte et de recueil de statistiques officielles, responsables de leur production, de leur analyse et de leur diffusion. C’est un gage de transparence vis-à-vis de nos partenaires, un outil de travail fiable pour les décideurs publics, garant de la construction de politiques qualitatives.
Il ne viendrait à l’esprit d’aucun des responsables politiques français, pour prendre un exemple proche de la formation intellectuelle de nos élites, de remettre en cause les statistiques publiées par l’INSEE. Certes tout gouvernement a droit à l’interprétation des chiffres, mais cela doit se cantonner dans certaines limites.
Pour revenir au Maroc, la quête de la transparence dans les données publiques n’a pas été un long fleuve tranquille. Nous aussi avons eu nos périodes d’incertitude où plusieurs administrations ont cru bien faire en prenant quelques libertés avec des chiffres, se sentant peut-être injustement traitées par des organismes internationaux ou inquiètes des répercussions sur la sécurité.
Au fil des années, il est apparu que cette démarche était fondamentalement contre-productive, car introduisant le doute non pas uniquement chez nos partenaires, mais aussi chez le citoyen ordinaire. Lequel citoyen, de plus en plus informé par les réseaux sociaux, a tout le loisir de comparer son vécu, ce qu’il voit dans la société et certaines déclarations tonitruantes des dirigeants politiques.
Transparence et bonne gouvernance sont liées, l’une renforce l’autre. Elles agissent pour renforcer la crédibilité des politiques publiques, pour assurer une plus grande participation citoyenne, confirmer la volonté de la lutte contre la corruption et la quête continue d’efficacité.
Le sentiment qui se développe chez la plupart des observateurs est qu’au Maroc, l’État a fait sienne cette conviction. Et il est partagé par les instances internationales qui ne remettent pas en cause nos statistiques. Évolution positive qui exprime une confiance dans les capacités du pays à affronter les difficultés, à quoi sert-il de les cacher et jusqu’à quand est-ce possible?
Nous formulons l’espoir qu’à l’occasion de ce recensement, une avancée substantielle vers plus de transparence sera réalisée. Nous sommes prêts en tant que peuple et en tant que nation à faire une lecture sereine de nos faiblesses et aussi de nos atouts.
Le gouvernement actuel gagnerait beaucoup, à n’en point douter, à s’inscrire dans la dynamique souhaitée et confirmée par le roi Mohamed VI dans sa lettre au Chef du gouvernement.