Secteur informel: le diagnostic détaillé du HCP

Un marchand ambulant.. DR

Le Haut-commissariat au Plan a publié sa dernière enquête nationale sur le secteur informel. Il y actualise les informations sur les unités de production opérant dans ce secteur, son mode d’insertion dans l’économie nationale et sa contribution à la création de la richesse et de l’emploi. Détails.

Le 28/05/2025 à 15h38

Le Haut-commissariat au Plan (HCP) a publié les résultats d’une nouvelle enquête nationale sur le secteur informel. Réalisée sur une période d’une année (avril 2023-mars 2024), cette enquête vise à actualiser les informations sur les unités de production opérant dans le secteur informel, son mode d’insertion dans l’économie nationale et sa contribution à la création de la richesse et de l’emploi.

Le HCP indique que cette enquête concerne toutes les unités de production non agricoles ne disposant pas d’une comptabilité conformément à la réglementation comptable en vigueur au Maroc. Elles font ainsi partie de l’économie non observée.

Il précise aussi qu’elle n’inclut pas les activités illicites ou illégales, ni la production volontairement non déclarée pour éviter les obligations fiscales ou administratives, au sein d’unités de production opérant dans le secteur formel.

L’informel est constitué à 47% du commerce

Les résultats de cette enquête montrent que le secteur informel au Maroc compte environ 2,03 millions d’unités de production informelles (UPI) en 2023, soit une augmentation de plus de 353.000 unités par rapport à 2014, année où le HCP avait réalisé une enquête pareille. Cette hausse est principalement urbaine avec 77,3% des UPI localisées en milieu urbain, et une forte concentration dans la région de Casablanca-Settat (22,7%).

Le commerce constitue la principale activité du secteur informel, avec 47% des UPI, bien que sa part ait diminué au profit d’une progression des services (28,3%) et du BTP (11,6%). Les UPI sont majoritairement de très petite taille, 85,5% étant constituées d’une seule personne.

Plus de la moitié des UPI (55,3%) n’ont pas de local professionnel fixe, et une proportion de 4,6% exerce à domicile. L’industrie se distingue avec 56,5% d’UPI disposant d’un local professionnel et compte également 22,5% d’unités travaillant à domicile. Le BTP est le secteur qui abrite la proportion la plus élevée d’activités sans local professionnel fixe (90,2%) majoritairement exercées chez le client.

L’exercice de l’activité informelle hors local professionnel est souvent lié à des contraintes financières (42,9%) ou par la nature même de l’activité exercée (42,5%), notamment dans les secteurs du transport et de la construction.

L’accès aux infrastructures de base est très inégal: bien que 94% des unités disposant d’un local professionnel aient accès à l’électricité, seulement 46% ont l’eau potable, 43% un assainissement, et 41% un accès à Internet. Les unités de plus grande taille (quatre emplois ou plus) bénéficient d’un meilleur accès aux infrastructures de base, tandis que les micro-unités (un seul emploi) font face à un déficit important en la matière.

Les unités informelles sont très peu enregistrées administrativement

L’enregistrement administratif des unités de production informelles demeure limité, malgré quelques signes d’amélioration. Les taux d’enregistrement administratif restent globalement faibles: seuls 14,2% des UPI sont inscrites à la taxe professionnelle, 9,8% sont affiliées à la CNSS, 7,5% sont enregistrées au registre du commerce, 6,2% sont affiliées au régime de la contribution professionnelle unique (CPU) et à peine 1,7% bénéficient du statut d’auto-entrepreneur.

Ce faible taux d’enregistrement administratif est en grande partie lié aux conditions d’exercice: les UPI disposant d’un local professionnel sont significativement plus nombreuses à entreprendre des démarches d’enregistrement que celles exerçant à domicile ou sans local fixe. Par ailleurs, des disparités sectorielles sont observées: le commerce et l’industrie présentent les taux d’enregistrement les plus élevés, alors que le secteur du BTP reste particulièrement en retrait sur ce plan.

Le secteur informel reste largement dominé par les hommes

Entre 2014 et 2023, la présence féminine dans la direction des unités de production informelles demeure marginale et en recul, passant de 8,8% à 7,6%, malgré une présence significative relative dans l’industrie (20,9% en 2023 contre 22,3% en 2014).

L’âge moyen des chefs d’UPI est passé de 42,5 à 45 ans. Leur niveau d’instruction s’est amélioré: la part des sans niveau scolaire a baissé de 34,3% à 18,6%, tandis que celle des chefs ayant un niveau scolaire du secondaire a progressé de 28,8% à 40,5%.

Avant de créer leur UPI, 78,8% des dirigeants étaient déjà actifs, notamment dans le BTP (81,4%), avec de fortes disparités de genre: 82,3% des hommes étaient en emploi contre seulement 36,1% des femmes. Près de 60% des chefs d’UPI étaient salariés auparavant. Par ailleurs, 38,3% des femmes étaient propriétaires d’une autre UPI en tant qu’indépendantes, contre 27,6% des hommes.

La création d’UPI est principalement motivée par des besoins économiques (68,3%), avec une part minoritaire (31,7%) choisissant cette voie par préférence ou tradition familiale. Les femmes, en particulier, accèdent au secteur informel souvent par nécessité (71,9% contre 65,1% pour les hommes) et rencontrent davantage des difficultés pour concilier vie professionnelle et obligations familiales: 30% d’entre elles déclarent éprouver des difficultés à gérer les deux sphères, contre seulement 8,1% des hommes.

L’autofinancement constitue la principale source de création des UPI (72,2%), tandis que le recours au financement formel reste marginal (1,1% pour les crédits bancaires, 0,8% pour les microcrédits). De même, le fonctionnement quotidien des UPI repose quasi exclusivement sur les fonds propres (91,0%). Les financements externes demeurent marginaux: 0,3% via les crédits bancaires, 0,5% via les microcrédits, 2,7% via les crédits auprès les fournisseurs.

Seuls 2,1% des chefs d’UPI disposent d’un compte bancaire dédié à l’activité. L’accès au crédit bancaire est quasi inexistant pour les chefs d’UPI: 97,9% n’y ont jamais eu recours. Les raisons principales incluent un refus volontaire d’endettement (56,6%), un manque de besoin (11%), ainsi que des obstacles structurels comme des garanties trop élevées (20%) ou un statut juridique inadapté (2,6%).

La part des ménages détenant une unité informelle reste relativement important

Entre 2014 et 2023, la proportion de ménages ayant au moins une unité informelle est passée de 15,5% à 14,3%. Cette baisse est observée aussi bien en milieu urbain (de 17,2% à 15,6%) qu’en milieu rural (de 12,8% à 11%). La part des ménages ayant une UPI augmente avec la taille du ménage (de 5,2% pour les ménages formés d’une seule personne à 24,4% pour les ménages constitués de huit personnes et plus) et le nombre d’actifs occupés par ménage (de 20,6% pour les ménages urbains avec un seul actif à 37,6% pour ceux avec trois actifs ou plus).

En 2023, l’emploi dans le secteur informel représente 33,1% de l’emploi non agricole, en baisse de 3,2 points par rapport à 2014. Cette diminution est enregistrée dans les secteurs de l’industrie et des services (de 37,2% à 29,3% et de 21,5% à 20,6% respectivement) accompagnée d’une hausse dans le commerce et le BTP (de 68,5% à 69,8% et de 21,4% à 25,3% respectivement). En volume, l’emploi du secteur informel est passé de 2,37 à 2,53 millions entre 2014 et 2023, soit 157.000 emplois créés.

La contribution relative de l’informel à la production nationale a baissé

Le commerce concentre 44,1% de l’emploi du secteur informel, suivi des services (28,7%), de l’industrie (15%) et du BTP (12,2%). L’emploi du secteur informel est majoritairement urbain (77,6%), et la région de Casablanca-Settat en regroupe 23,2%, suivie de Marrakech-Safi (14%) et de Rabat-Salé-Kénitra (12,9%).

Le salariat ne représente que 10,4 % de l’ensemble de l’emploi du secteur informel. Plus de 77% des salariés ont été recrutés via l’entourage familial ou les amis et 60% ne disposent d’aucun contrat. Le salariat est plus fréquent dans l’industrie (17,2%) et le BTP (15,9%).

Entre 2014 et 2023, le chiffre d’affaires annuel du secteur informel est passé de 409,4 à 526,9 milliards de dirhams, soit une progression de 28,7%. Cette hausse reste modérée avec un taux de croissance annuel moyen de 2,6%. La production informelle a également progressé, atteignant 226,3 milliards de dirhams en 2023, soit une augmentation globale de 22,3%. Or, malgré cette augmentation en valeur absolue, la part du secteur informel dans la production nationale hors agriculture et administration publique est passée de 15% en 2014 à 10,9% en 2023.

Le commerce demeure le secteur principal dans la structure de la production du secteur informel, bien que sa part ait légèrement diminué, passant de 34,7% en 2014 à 30% en 2023. En revanche, les services affichent une progression significative, atteignant 24% en 2023 contre 18,6% en 2014. Le secteur du BTP se maintient de manière stable autour de 18,4%, contre 18,1% en 2014. Par ailleurs, la part de l’industrie dans la production du secteur informel a légèrement reculé, passant de 28,6% à 27,7%.

Dans l’industrie, l’alimentaire gagne en poids (49,2% en 2023 contre 36,2% en 2014), au détriment du textile et habillement (16% contre 27,7%). Les services sont dominés par le transport (37,2%) et la restauration/hôtellerie (29,4%). Le commerce reste centré sur le commerce de détail (63,9%), et les travaux de finition renforcent leur place dans le BTP (57,1%).

Le secteur informel a généré 138,97 milliards de dirhams de valeur ajoutée en 2023, en hausse par rapport à 2014 (103,34 milliards de dirhams), avec un taux de croissance annuel moyen de 3,06%. Sa contribution à la valeur ajoutée nationale hors agriculture et administration publique est passée de 16,6% en 2014 à 13,6% en 2023. Le commerce reste le principal secteur contributeur (38,9% contre 43,1%), en recul, au profit des services (25,6% contre 19,9%) et du BTP (14,8% contre 14,3%). L’industrie, quant à elle, voit sa part diminuer de 22,8% à 20,8%.

Les unités informelles intensifient leurs échanges avec le secteur formel

La valeur ajoutée moyenne du secteur informel par UPI est de 68.499 dirhams, avec de fortes disparités: les 20% les plus productives concentrent 65,4% de la valeur ajoutée totale.

La productivité par actif occupé atteint 54.930 dirhams, avec des niveaux supérieurs dans l’industrie (75.707 dirhams) et le BTP (66.199 DH), contre 48.368 dirhams dans le commerce et 48.727 dirhams dans les services.

En 2023, 57% des approvisionnements du secteur informel proviennent du secteur informel lui-même, contre 70,9% en 2014. Parallèlement, le recours au secteur formel a fortement augmenté (33,7% en 2023 contre 18,2% en 2014). En aval, la majorité de la production informelle (79,5%) est destinée à la consommation des ménages, en hausse par rapport à 2014 (77,8%). Les ventes au secteur formel, bien que modestes, ont progressé (2,4% en 2023 contre 0,5% en 2014), tandis que les ventes destinées au secteur informel diminuent à 17,7% contre 21,3%.

Par Nisrine Zaoui
Le 28/05/2025 à 15h38