Quand le fast track de l’aéroport Mohammed V devient un chemin de croix

L'aéroport Mohammed V de Casablanca.

Censé fluidifier le parcours des personnalités importantes et hôtes de marque du Maroc, le fast track mis en place par l’ONDA à l’aéroport Mohammed V de Casablanca est devenu un véritable parcours du combattant pour les nombreux passagers qui l’empruntent. À l’arrivée, et même vue d’en haut, une piètre image de tout le pays que renvoie une infrastructure dont les interminables travaux, les mesurettes de rafistolage et autres effets de joliesse ne font que confirmer le caractère résolument irréformable.

Le 11/03/2024 à 09h55

Pour le commun des mortels, et passagers, que nous sommes, la longue attente est de rigueur. Et fait partie du processus du voyage. Voyager via l’aéroport Mohammed V, que ce soit pour un vol intérieur ou à l’étranger, c’est forcément devoir supporter les longues files d’attente d’entrée. Littéralement. Aux deux heures d’avance «réglementaires» pour être à l’aéroport avant l’embarquement, il faut ajouter une heure ou deux… pour y accéder ou pire: le quitter. Arriver à l’aéroport de Casablanca est devenu une épreuve, un calvaire.

Mais que dire quand des personnalités importantes, des diplomates, des invités de marque ou des hommes d’affaires dont le temps est compté doivent subir, à peu près, une interminable attente? Ceux-là même qui, pour avoir droit à un minimum de «qualité de service», achètent des billets «Business class» hors de prix. C’est clairement le cas actuellement. Ce qui était censé être un fast track qui leur est dédié, servant à la fois de moyen de leur faire l’économie des longues attentes et de cache-misère pour occulter le chaos environnant, est devenu un «very low track tout juste bon à en dire long sur le reste. Pour cela, les passagers VIP ont le temps», ironise cet habitué.

Ce patron d’une grande banque de la place, qui plus est était accompagné par des personnalités émiraties de haut rang lors d’une malheureuse arrivée à Casablanca, ne dira pas le contraire. «À l’arrivée, il nous aura fallu 55 minutes d’attente dans ce fast track pour arriver au comptoir de la police des frontières. Dans cette file d’attente, il y avait des personnes qui ont voyagé en première classe. Je vous laisse imaginer leur désarroi face à une si mauvaise qualité de service», témoigne-t-il.

Derrière cette situation catastrophique, une idée de «génie» de l’Office national des aéroports (ONDA), qui a cédé son traitement VIP à une société spécialisée, Pearlassist. À l’aéroport Mohammed V, celle-ci gère des salons et des services théoriquement VIP ainsi que le Pearl Lounge. Pour rentabiliser sa concession, Pearlassist a cru bon d’ouvrir le fast track à tous les voyageurs, moyennant une facturation «à part» comprise entre 350 et 500 dirhams. La promesse: «Oubliez les files d’attente, et profitez de chaque instant à l’aéroport», tel qu’on peut le lire en grand sur le site de l’aéroport Mohammed V.

Dans la réalité, c’est tout l’inverse: «À l’arrivée, nous nous retrouvons à peu près dans le même schéma que pour les passagers en classe économique: plusieurs dizaines à attendre à chaque fois dans une file interminable. C’est indigne d’un aéroport supposé être un hub africain et la principale porte d’entrée vers le Maroc», dénonce cet homme d’affaires marocain jaloux de l’image de son pays et honteux de celle que projette un service supposément premium.

Ce qui vaut pour le supposé fast track est valable aussi pour la livraison des bagages. «Lors de mon tout dernier voyage en France, et de retour à Casablanca, nous avons dû attendre longtemps devant le tapis indiqué sur les écrans d’affichage de l’aéroport, qui déroulait vide de tout bagage avant qu’un crieur public, un “barra7”, ne vienne nous dire que nos affaires étaient sur un autre tapis roulant et qu’il fallait se déplacer à autre numéro», ajoute ce diplomate marocain, obligé de tourner le scandale en dérision pour sortir ses collègues étrangers de leur torpeur, atterrés qu’ils étaient devant un tel niveau de prestation.

L’image du Royaume s’en trouve ternie, et c’est peu dire. Et nous ne parlons pas d’un aéroport de province mais de l’aéroport Casablanca Mohammed V, qui accapare plus de 36% du trafic aérien national et qui a accueilli près de 9,8 millions de passagers en 2023, soit une hausse de 28% par rapport à l’année précédente. À quoi faut-il s’attendre quand on sait que le Maroc s’apprête à accueillir des événements de calibre mondial (Coupe d’Afrique de football dès 2025 et Coupe du monde en 2030, soit demain)? Et est-ce que c’est avec un tel niveau de service et une infrastructure aussi surannée et gérée à la façon d’une annexe administrative que nous y arriverons? Le doute est permis et les effets de joliesse et autres bricolages n’y changeront rien.

Par Youssef Bellarbi
Le 11/03/2024 à 09h55