Inflation, informel, transferts des MRE… Pourquoi le cash est monnaie courante au Maroc

Des billets d'argent en dirham marocain. Photographie d'illustration.

Des billets d'argent en dirham marocain. Photographie d'illustration. . DR

Malgré les progrès réalisés au niveau de l’inclusion financière des citoyens, le cash a toujours la cote au Maroc. Ce phénomène, qui pèse lourdement sur la liquidité des banques, s’est accentué ces dernières années à cause des effets de la crise sanitaire et de la montée inflationniste.

Le 28/01/2023 à 13h16

La valeur du cash en circulation au Maroc a atteint 347,8 milliards de dirhams à fin novembre 2022, selon les dernières statistiques de Bank Al-Maghrib (BAM), soit 28,3 milliards de dirhams de plus que durant la même période de l’année 2021. Une tendance qui interpelle la banque centrale et pèse sur la liquidité des banques commerciales.

«L’augmentation du besoin de liquidités des banques émane de plusieurs facteurs, dont principalement l’augmentation de la circulation de la monnaie fiduciaire», a souligné le responsable par intérim des opérations monétaires et des changes à BAM, Younes Issami, lors du dernier point de presse consacré à l’opération structurelle d’achat de bons du Trésor de l’institution.

«Au moment de la crise Covid, on a enregistré un taux significatif de la circulation de la monnaie fiduciaire. Le premier comportement de plusieurs personnes face à la crise était de retirer du cash. Malheureusement, on n’a toujours pas enregistré le retour des montants retirés en 2020, au contraire, la circulation du cash a augmenté de près de 10% en 2022», a-t-il ajouté.

Contacté par Le360, Omar Bakkou, économiste spécialiste en politiques de change au Maroc, explique que tout ce cash en circulation est autant de manque à gagner pour les dépôts des banques, qui font face à un important manque de liquidité les poussant à se financer davantage auprès de BAM.

En effet, sur la base de l’évolution prévue des réserves de change de la banque centrale et de la circulation fiduciaire, le déficit de liquidité bancaire devrait s’établir à 89,1 milliards de dirhams à fin 2022, à 87,7 milliards à fin 2023 et à 100,5 milliards à fin 2024.

Selon l’analyse de BAM, plusieurs facteurs expliquent la hausse de la circulation du cash au Maroc. Il s’agit notamment de la montée de l’inflation qui a participé à l’augmentation des dépenses quotidiennes des ménages et donc du volume du cash utilisé dans ces transactions, a précisé Issami.

L’autre facteur qui explique cette tendance est la hausse des transferts des Marocains résidant à l’étranger depuis le déclenchement de la crise sanitaire. «Les montants transférés par les MRE ces deux dernières années ont été très importants. On va dépasser les 100 milliards de dirhams cette année. Même si ces transferts se font à travers le canal électronique, une grande partie des bénéficiaires retirent l’argent reçu», a souligné le responsable de BAM.

Pour sa part, Bakkou ajoute que la hausse de la circulation de la monnaie fiduciaire au Maroc ces dernières années résulte également de l’importante part de l’informel dans l’économie nationale, plusieurs personnes recourant aux transactions par cash pour échapper au contrôle du fisc.

Il est également question, selon l’expert, d’un manque de confiance dans l’économie de manière générale, d’un déficit de culture financière chez les citoyens et d’une crainte de l’avènement d’une nouvelle crise qui chamboulera l’écosystème à l’instar du Covid-19.

Face à ce phénomène, BAM assure actionner plusieurs leviers pour rompre avec cette culture du cash bien ancrée chez la population. «La banque centrale mène plusieurs stratégies pour réduire cette circulation. On travaille à développer la stratégie du mobile banking et de la monnaie digitale, mais on est confrontés encore à des difficultés culturelles. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on pourra convaincre les gens de changer leur mode opératoire», assure Issami.

Pour rétablir la confiance des ménages dans le système banquier, élargir l’inclusion financière des habitants et accélérer leur adhésion aux nouvelles solutions de paiement, Omar Bakkou insiste, de son côté, sur le besoin de repenser la stratégie de communication adoptée, encore «élitiste» et qui s’adresse à une «minorité de gens». L’économiste appelle ainsi à adopter une stratégie de masse en empruntant de nouveaux canaux de communication qui ont déjà fait leurs preuves, notamment les réseaux sociaux.

Par Safae Hadri
Le 28/01/2023 à 13h16