Facturation électronique: ce qui va changer

La réforme de la facturation éléctronique entend élargir l’assiette fiscale en capturant chaque transaction, répondant ainsi à un manque à gagner colossal de 40 milliards de dirhams, estimé par le FMI, qui pointe l’évasion fiscale et l’économie informelle comme des gouffres financiers.. DR

Revue de presseLa facturation électronique, visant à élargir l’assiette fiscale et à lutter contre l’évasion, redéfinit les rapports entre l’État et les citoyens en imposant une traçabilité totale des transactions. Mais si elle promet plus de transparence et de contrôle, elle risque d’accroître la bureaucratie et d’augmenter les coûts pour les petites entreprises. Cette analyse est une revue de presse tirée du quotidien Les Inspirations Éco.

Le 04/03/2025 à 21h12

La réforme de la facturation électronique, portée par la Direction générale des impôts (DGI), ne se limite pas à une simple mise à jour administrative. Bien que l’on connaisse en partie l’impact de cette innovation sur les relations entre les entreprises et la DGI, les conséquences indirectes pour le citoyen lambda restent floues, indique Les Inspirations Éco dans son édition du 5 mars.

Lors d’une récente conférence-débat, Younes Idrissi Kaitouni, directeur général des impôts, a évoqué un système capable de «savoir instantanément toutes les ventes d’un stylo noir écoulées sur le marché». Une vision qui, sous couvert de modernisation, cache une transformation bien plus profonde des équilibres économiques, sociaux et psychologiques au sein de la société marocaine.

«L’objectif de cette réforme va bien au-delà de la simple numérisation», lit-on. Elle s’articule autour de trois grands axes stratégiques. Premièrement, elle entend élargir l’assiette fiscale en capturant chaque transaction, répondant ainsi à un manque à gagner colossal de 40 milliards de dirhams, estimé par le FMI, qui pointe l’évasion fiscale et l’économie informelle comme des gouffres financiers. Grâce à la digitalisation des flux financiers, la DGI veut intégrer des pans entiers de l’économie invisible. Deuxièmement, le système vise à éradiquer les fraudes avec des déclarations préremplies, alimentées en temps réel par des données collectées.

La traçabilité des revenus devient un jeu d’enfant, la DGI étant désormais équipée pour croiser des informations provenant de sources multiples, bancaires et douanières. Enfin, l’objectif est de simplifier les démarches pour les entreprises, qui verront leurs obligations déclaratives automatisées, réduisant ainsi les erreurs humaines et raccourcissant les délais administratifs. Un progrès, certes, mais aussi un piège: dans ce système ultra-efficace, les marges de manœuvre deviennent quasi inexistantes.

Mais là où cette réforme prend une ampleur inquiétante, c’est dans la manière dont elle va redéfinir les rapports entre les citoyens et l’État. En imposant une traçabilité totale des transactions, la facturation électronique porte un coup fatal aux pratiques de double comptabilité, jusque-là monnaie courante dans les secteurs informels.

Les grossistes, prestataires de services et autres acteurs économiques devront choisir entre formaliser leur activité en adoptant des factures électroniques vérifiables ou risquer une marginalisation progressive face à une administration fiscale armée de données en temps réel. Ce n’est plus l’État qui négocie, c’est l’algorithme qui dicte sa loi. Chaque dirham dépensé devient une donnée traçable, et l’impôt se transforme, pasant d’une contribution en une obligation algorithmique, scellant définitivement la fin de l’opacité.

Cette quête de rationalité fiscale pourrait bien créer un effet pervers: l’inflation. Les secteurs traditionnellement opaques, comme le BTP ou la restauration, devront intégrer la TVA dans leurs coûts réels, ce qui se traduira par une hausse des prix, pénalisant directement le consommateur.

Certes, le projet de facturation électronique promet une meilleure traçabilité et un contrôle renforcé des pratiques commerciales. Mais pour le citoyen, il comporte un double visage. D’un côté, il sert de garde-fou contre les dérives du marché informel: les surfacturations et autres manipulations disparaissent face à des transactions vérifiables en temps réel. Il offre également une preuve d’achat systématique, un bouclier précieux pour faire valoir des garanties ou exiger un service après-vente. Mais de l’autre, cette rationalisation introduit une rigidité bureaucratique dans les micro-échanges du quotidien. Les prestataires occasionnels, contraints de produire des factures officielles pour des services mineurs, verront leurs coûts administratifs gonfler. Résultat: soit ils augmenteront leurs prix, soit ils renonceront à des prestations informelles, qui constituaient un filet de sécurité pour les foyers modestes.

L’argument officiel pour justifier cette réforme repose sur la promesse de mieux financer les services publics. «Cet argent, ce sont les routes, les écoles, les hôpitaux», répète Kaitouni. Mais le citoyen pourrait bien voir la réalité différemment. «Certes, les recettes fiscales augmentent, mais que devient cet argent dans les quartiers populaires ou les zones rurales? La tension entre la performance comptable et la performance sociale pourrait cristalliser une crise de confiance si les promesses ne se traduisent pas par des améliorations concrètes sur le terrain», alerte Les Inspirations Éco.

Par Le360
Le 04/03/2025 à 21h12